Le Cercle Modernist

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Une Petite Histoire du Blues : Partie I

 

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 - Juke Joint House (Source : JDM) -

 

 

"Une Petite Histoire Du Blues..."

 

Partie I 

 

 

 

Ce titre pourrait paraître prétentieux à première vue ...

En effet, ce thème est depuis longtemps abordé par de nombreux spécialistes,

historiens de la musique, passionnés et autres amateurs érudits.

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Tous ont réfléchi, en nous donnant des pistes diverses, pour essayer de comprendre l'origine du Blues,

puis l'évolution de cette musique qui est devenue un des plus célèbre ambassadeur de la culture Afro-Américaine !

Notre propos est, donc bien, celui déjà largement "défraîchi" par ces spécialistes émérites, voir les abondantes sources cités,

 

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mais, comme d'accoutumé, nous aurons une approche particulièrement "orientée" vers, ou par, notre culture Modernist.

Tout d'abord, soulignons que nous parlons plus spécialement du Blues développé en Amérique, par la culture Afro-Américaine.

Certes, comme nous allons le voir, le Blues à des racines très diverses ... quelques fois vraiment très obscures,

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néanmoins, et clairement, c'est le Blues Afro-Américain, celui qui à bercé les premières générations Modernist,

qui nous intéresse tout particulièrement dans cette approche intitulée précisément "Petite Histoire Du Blues".

Vous noterez bien, au passage, les majuscules marquant volontairement l'importance de chaque mot dans cette simple phrase...

 

 

 - Référence musicale 1 (en bas d'article) -

 

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 - Encart Publicitaire de Pre-War Blues, avec Skip James, circa 1920 (Source  : BM) -

 

 

 

Nous débuterons par l'arrivée des esclaves noirs au XVIIIe siècle sur les toutes premières terres des colons en Amérique.

Une arrivée qui est en fait antérieure au XVIIIe siècle, en effet, la toute première trace d'Africains installés en Amérique date en fait de 1619.

Cette arrivée est donc bien antérieure à l'arrivée des touts premiers Colons, les fameux Pères Pèlerins, qui débarquèrent du May Flower en provenance d'Europe.

Même si cette première installation est minime (il n'y avait qu'une vingtaine de personnes) elle illustre parfaitement les intentions des colons :

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des colons qui cherchent une main d'oeuvre bon marché et surtout "corvéable et serviable à merci", au même régime que les cerfs du Moyen Age (!!).

Notons, néanmoins, qu'au XVIIe siècle, la situation n'est pas totalement identique pour tous le Noirs : certains bénéficient du statut d'Homme Libre dans le Nord des Etats-Unis.

Au Sud, les Noirs représentent encore une minorité de la population totale : en 1680,  il y à 8000 esclaves (quand même !) pour 15 000 colons.

 •

De plus, les rares Noirs pouvant accéder au statut d'Homme Libre ne réussissent que très rarement à s'en sortir  : le racisme est omniprésent dans cette société.

 

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 La société est prête à priver totalement de leurs Droits des Noirs, déjà arrivés en Amérique sous les coups et les brimades dans des conditions inhumaines.

Nous insistons sur l'atrocité et l'inhumanité de la situation des esclaves Noirs, pour dénoncer en premier lieu le comportement abject des colons ;

mais, aussi, pour rappeler que le Blues est une musique résultant tout d'abord de la souffrance et l'humiliation scandaleuse subie par les Noirs en Amérique.

C'est avec la culture du coton, qui se développe dans le Sud, que l'esclavage des Noirs va réellement prendre des proportions extrêmement importantes :

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en 1810, deux ans après l'interdiction de la Traite (!), les Etats-Unis ont plus de 1 millions d'esclaves Noirs ... en 1860 cette population atteint les 4 millions !

Toutes les études historiques, dont celle du prestigieux historien David Brion, soulignent le traitement particulièrement inhumain réservé aux esclaves Noirs.

Le système de gestion des plantations du Sud est basé sur la terreur et l'extrême violence raciale : c'est un régime de violence légalement autorisé et encadré.

Les flagellations publiques étaient monnaies courantes, sans oublier les castrations, les mutilations et le risque d'être "revendu" à un autre "propriétaire"...

 

 

 

 - Référence musicale 2 (en bas d'article) -

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 - Tableau "L'abolition de l'esclavage" de François Biard (1798-1882), peint en 1849  (Source : HPI) -

 

 

 

 

Malgré ces brimades et les violences sauvages continuelles, l'esclave Noir réussit à résister à ce régime de terreur,

 

le Blues, entre autres, va bien entendu faire partie de ces "armes secrètes" pour garder la tête haute et lutter avec dignité la sauvagerie de l'esclavagisme.

 •

En fait, c'est grâce, en grande partie, au "Federal Writers' Project" que la vie des esclaves Noirs va être connu.

 

Car, même si les études historiques récentes nous donnent, sans cesse, de nouvelles informations sur le ce "Temps de l'Esclavage"  ;

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c'est surtout grâce aux milliers de témoignages d'esclaves Noirs, recueillis  durant les années 1930 par le "Federal Writers Project",

que la vie sociale est justement plus connue et qu'il est possible d'avoir une idée plus précise de l'environnement de cette époque.

Car, malgré le comportement bestial de leurs maîtres et l'ignominie des lois du Code Noir, les esclaves Noirs ont bien une vie sociale, familiale et religieuse !

Mais, ce sont surtout les travaux d'Edward Franklin Frazier (1894-1962), sociologue et historien américain, qui permettent d'y voir plus clair.

 

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Edward Franklin Frazier est le véritable spécialiste de l'esclavagisme des Noirs aux Etats-Unis, c'est un membre éminent de la communauté Afro-Américaine :

 avec son rôle très actif au sein du milieu universitaire, ou son militantisme pour l'NAACP (National Association for the Advancement of Colored People).

L' NAACP mouvement citoyen et social qui va être le fer de lance de la lutte en faveur de la reconnaissance des droits des Noirs aux Etats-Unis.

Tout d'abord, la vie de l'esclave Noir, excepté son labeur, est organisée autour de l'église, c'est d'ailleurs cette dernière qui est la seule à reconnaître son existence.

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La religion à une place primordiale dans l'environnement des esclaves Noirs : en bref, elle régie et structure tout simplement une grande part de leur existence.

Mais, même si la religion chrétienne, surtout après le XVIIe siècle, est largement pratiquée, avec une certaine préférence pour certains passages de la Bible,

comme l'épisode dit de l'Exode des esclavesles croyances animistes et le culte des ancêtres, hérité directement d'Afrique, est encore largement pratiqué.

Les esclaves Noirs apportent avec eux toute leur culture originelle, cet à dire une culture totalement orale et teintée de certaines pratiques mystiques de magies.

 

 

 - Référence musicale 3 (en bas d'article) -

 

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 - Plaque Commémorative dans le Mississippi (Source : BMT) -

 

 

 

En ramenant une partie de cette culture ancestrale, les esclaves Noirs, en provenance d'Afrique, introduisent également de nouveaux instruments de musiques.

Ils amènent aussi de nouvelles pratiques de chants inconnues, ou mêmes inquiétantes aux regards des néophytes,  sur cette terre d'Amérique qui est leur prison.

C'est là, sans aucun doute, une des étapes primordiales, et un des premiers apports qui vont justement permettre la genèse des premiers pas du Blues.

Ces Noirs d'Afrique, nouveaux esclaves en Amérique, nous enrichissent de nouveaux instruments comme le tambour, dans des formes encore inconnues,

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 le balafon, instrument de musique proche du xylophone composé en bois, puis le banjar, une toute petite guitare/mandoline africaine faite en peau de bêtes.

Les esclaves Noirs sont donc, déjà, de talentueux musiciens et chanteurs .... à posteriori, il nous suffit d'écouter les splendides compositions contemporaines...

Habitués à pouvoir s'exprimer couramment par le biais de la musique, les esclaves Noirs vont être soumis à un régime très restreint par leurs maîtres !

En effet, les danses sont formellement interdites par le Code Noir, elles ont un caractère trop sexuel (!!!...), les tambours sont également proscrits ...

 

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Les tambours, sont en effet, susceptibles de permettre aux esclaves de véhiculer des messages pour préparer des évasions....la hantise des propriétaires .....

Face à ces nombreuse interdictions, les esclaves Noirs vont redoubler d'ingéniosité pour pouvoir tout de même s'exprimer.

Ils inventent, alors, de nouveaux moyens de résistances, qui prennent la forme de chants appelés des WorkSongs, ou encore des Field Hollers.

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Ces nouvelles formes de chants permettent surtout aux esclaves d'exécuter leur terrible labeur moins péniblement en rythmant le travail dans la plantation.

Plus précisément, les chants des Field Hollers est d'abord lancé par un premier chanteur, puis, il est repris en coeur par tous le groupe travaillent dans le champs.

 

C'est bien de cette manière qu'une première forme primitive du Blues se développe petit à petit, cette musique est un moyen double de lutte.

 

Ces chants permettent tout d'abord au Noirs, comme nous l'avons souligné, de supporter leurs terribles et inhumaines conditions d'esclaves.

 

 

 - Référence musicale 4 (en bas d'article) -

 

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 - Tableau de William Clark 1823 (Source : EBM) -

 

 

 

Puis, de plus, ce type de chant permet aux esclaves Noirs de s'informer en faisant circuler tous types d'informations, comme celles des esclaves affranchis.

Les esclaves affranchis parcourent les nombreuses plantations, tout comme les "griots" d'Afrique, pour donner des nouvelles ou vendre des articles....

C'est aussi le début de la fameuse "Route de Blues ", qui est, en fait, une réplique de cette route de l'exode des populations du Sud fuyant la pauvreté.

Avec ce premier apport, résultant des instruments et des chants en provenance d'Afriquec'est l'apport de la religion chrétienne et de ses Eglises,

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possédant son culte bien spécifique, qui vont également forger et développer les premiers pas de cette musique qui va devenir le  Blues.

En parallèle, les esclaves Noirs vont aussi créer et développer leurs propres instruments de musique, comme par exemple le désormais fameux Washboard....

La spécificité du Blues est donc cette intégration, et cette profonde synthèse entres différentes musiques, et cela dès les premières heures.

Aux touts premiers instruments d'origines africaines, viennent s'ajouter des influences en provenance d'Europe, comme les violons d'Europe de l'Est.

 

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Puis, un peu plus tard, des instruments plus novateurs et inconnu, en provenance du très lointain Pacifique Sud (!!!) et de la culture Polynésienne, 

avec ses guitares langoureuses guitares Hawaïennes, intégrées rapidement par les Bluesmen (après de l'annexion de l'île d'Hawaï par les Etas-Unis en 1898).

La rapide diffusion de la musique Blues dans les états du Sud des Etats-Unis est facilitée par la liberté accordée aux esclaves Noirs en 1863.

C'est le président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, qui va donner la liberté aux esclaves Noirs des états du Sud des Etats-Unis.

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Ceux qui vont tout de suite émigrer vers les villes plus riches du Nord, comme New York City ou Chicago, sont une infime minorité.

En fait, la grande majorité des esclaves Noirs devenus libres après 1863 restent dans les états du Sud en essayant de subsister face au racisme toujours là.

C'est aussi à cette époque que sont crées les Coon Songs, ce sont des chansons d'airs populaires crées par les Sudistes pour se moquer des Noirs.

Mais, les Noirs vont, encore une fois, reprendre la formule à leur compte en y intégrant le Ragtime, musique qui est d'abord jouée au Banjo avant le piano.  

 

 

- Référence musicale 5 (en bas d'article) -

 

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- William Christopher Handy circa 1922 (Source : BC) -

 

  

La première forme du Blues, en ce début de XXe siècle, est bien celui développé dans le Delta du Sud des Etats-Unis.

L'une de ses formes antérieure du Blues est le style "Five And Drums" développé dans la région du Hill Country, dans l'état du Mississippi.

Il s'agit d'un style joué par un ensemble de percussion guidé par un filtre en bambou, le maître en la matière était le Bluesmen Othar Turner.

Nous pouvons aussi parler du style de Blues appelé "Diddley Bow", toujours dans la partie rurale du Mississippi, qui est joué avec une corde fixée sur une planche,

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le "jug", qui est un cruchon en terre sur lequel on soufflait pour obtenir un son profond et bien spécifique et connu dans les champs de coton du Sud.

C'est donc principalement dans les champs de coton de la région du Delta du Mississippi, entre Senatobia et Clarcksdale  plus exactement,

que ces "premières" formes du Blues apparaissent, avant d'évoluer vers des instruments plus simples comme la guitare acoustique, le piano ou l'harmonica.

Cette période du Post War Blues est plus obscure et pleine de légendes, en comparaison à la période des années 1950 et 1960 à Chicago, qui nous intéresse plus.

 

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 La légende raconte, par exemple, que l'un des premiers Bluesmen, Robert Johnson, aurait signé un pacte avec le diable pour devenir un virtuose du Blues.

N'oublions pas que à cette époque le Blues est encore considéré, et perçu, comme la "Blue Devil's Music" : c'est une musique liée aux forces maléfiques !...

Pour être plus précis sur cette histoire, Robert Johnson ne serait pas le tout premier Bluesmen à l'origine de cette légende "maléfique"  :

c'est Tommy Johnson, auteur du morceau "Canned Heat", qui serait, en fait, véritablement à l'origine de cette incroyable légende.

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 En fait, c'est surement W.C Handy qui est un des premiers musiciens à reprendre des airs de Blues en les faisant arranger et interpréter par des orchestres.

W.C Handy est, entre autres, l'auteur d'un des plus grands et connus standard du Blues avec le très fameux morceau "Saint Louis Blues".

Le terme Blues vient donc, à l'origine, de l'abréviation de l'expression anglaise "Blue Devils" qui peut se traduire par "idées noires".

Pour être plus précis, le terme Blues, d'ou le terme Blues est justement dérivé, vient de l'ancien français : il signifie "l'histoire personnelle". 

 

 

 - Référence musicale 6 (en bas d'article) -

 

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 - Encart Publicitaire circa 1930 (Source : BR) -

 

 

 Il demeure d'ailleurs dans la langue française actuelle le terme bluette, un terme qui signifie et représente,

pour tout musicien de Blues, l'utilisation de la première personne du singulier dans une composition.

Notons que nous retrouvons aussi cette particularité de la "note bleu" dans la pratique de la musique en provenance d'Asie (!!)

N'oublions pas que l'utilisation de cette "Blue Note" représente l'essence musicale de la musique Blues. une essence déclinée en langues africaines, asiatiques, irlandaises ...

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L'utilisation de l'expression Blues dans la musique Afro-Américaine remonte au début du XXe siècle dans le Music Hall, dans le style "vaudeville".

De plus, le terme Blues était couramment employé, dès le XIXe siècle, dans les pièces de théâtre traitant des Noirs vivant dans le Sud des Etats-Unis.

C'est le Bluesmen William Christopher Handy, compositeur et chanteur considéré comme le père du Blues ("The father Of The Blues"),

qui "officialise", en quelque sorte, l'utilisation du terme Blues dans "Menphis Blues", morceau qu'il sort en 1912 ...bien que cette date soit sujette à polémiques...

 

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 William Christopher Andy est né à Montelimar, dans l'état de l'Alabama, le 16 novembre 1873 .. date encore sujette à polémiques comme souvent avec le Pre War Blues...

C'est dans son autobiographie ("Father Of The blues") que l'on apprend que ses parents, Charles Beranard Handy et Elizabeth Bewer Handy,

 sont issus de l'esclavage et qu'il est né dans une cabane construite par son grand-père William, précisons que son père est Pasteur.

Le jeune William va donc grandir dans un environnement profondément religieux, enfant il joue rapidement à l'église ce qui va fortement influencer son style.

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Il va exercer différents petits métiers qui lui permettent de s'acheter sa première guitare, mais ses parents ne sont pas d'accord : il est obligé de jouer de l'orgue à l'église...

 William parfait son apprentissage de différents instruments de musique, en devenant aussi chef d'orchestre, il devient même premier ténor dans un spectacle de ménestrel....

Il parcourt le Mississippi durant sa jeunesse, en jouant différents styles,et grâce à une mémoire particulièrement efficace il retient ces différentes techniques.  

 •

William Christopher Andy va se marier en 1896 avec Elizabeth Price, quelques temps après, il intègre une nouvelle formation de ménestrels, les Mahar's Colored Minstrels,

  

 

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 - Encart Publicitaire début XXe (Source : BM) -

 

 

Grâce à ce nouveau contrat avec les Mahara's Colored Minstrels, William Christopher Handy effectue de nombreux concerts dans tout le territoire des Etats- Unis :

il joue ainsi à Chicago, dans l'état de l'Illinois, dans le Texas, l'Oklahoma, le Tennesse, la Floride....et même plus loin avec l'île de Cuba !!...

Après cette période mouvementée, faite de concerts et de voyages, William décide de s'installer dans l'Alabama avec le premier de ses six enfants.

C'est aussi durant cette période, surtout pourrions nous même dire, que William Christopher Andy est contacté par William Hooper Council ;

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ce dernier est le président de l'Alabama Agricultural and Mechanical University For Negroes, c'est la seule université ouverte officiellement aux Noirs en Alabama.

L' AAMC, et William Hooper Council  propose à William Chistopher Handy d'enseigner la musique au sein de l'établissement, il y enseigne la musique de 1900 à 1902.

Soulignons que l'AAMC est désormais devenue l'Alabama Agricultural and Mechanical University, une prestigieuse institution de l'enseignement dans l'Alabama.

William Christopher Handy  va quitter l'université car il veut gagner plus : il décide de rejoindre une nouvelle formation appelée les The Knights Of Pythias ...

 

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C'est justement durant cette période, entre 1903 et 1912, que la genèse du fameux morceaux "Menphis Blues" est mise en route :

les brillantes observations de William Chistopher Handy sur l'attitude des blancs face à la musique Afro-Américaine servent, entre autres, de fondation pour la musicologie.

Pour être plus précis sur ce fameux morceau "Menphis Blues", c'est une chanson à caractère rural, agricole même, qui s'intitule à l'origine "Mr Crump".

En effet, à l'origine, William Christopher Handy écrit cette chanson pour Edward Crump, candidat à la mairie de Menphis en 1909,

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ce n'est que plus tard qu'il va changer le titre, pour en créer une nouvelle qui va devenir un classique intemporel !...  

 •

 Soulignons que ce morceau est considéré par de nombreux spécialistes comme la toute première chanson de Blues :

le remarquable travail musical de William Christopher Handy introduit un style de Blues en "douze mesure", un style spécifique que beaucoup vont vite adopter ... 

 •

 C'est aussi le début d'une certaine célébrité pour William Christopher Handy : il réussit à revendre les droits sur sa chanson pour 100 $ U.S, une belle somme pour cette époque ....

 

 

- Référence musicale 7 (en bas d'article) - 

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 - Encart Publicitaire SWAN Records circa 1924 (Source : BSR ) -

 

 

 

 C'est après cette première période de succès, qui lui donne pourtant certaines déceptions et le confronte surtout au racisme très présent dans la société américaine,

que William Christopher Handy décide de produire lui-même des disques, en s' affranchissant ainsi de la mainmise des blancs dans l'industrie naissante du disque.

Tout d'abord, précisons que William Christopher Handy n'est pas, en fait, le seul fondateur du fameux label BLACK SWAN, comme beaucoup le pensaient...

BLACK SWAN Records est crée par Harry Herbert Pace en Mars 1921 dans le quartier de Harlem à New York City :

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la naissance de ce label est incontestablement un élément fondateur, primordial même, dans la genèse de la musique Afro-Américaine contemporaine.

dés le départ l'objectif de l'entreprise est de mettre en place un business exclusivement dirigé par la communauté Afro-Américaine de New York City

 •

 Des noms de nouvelles vedettes musicales comme Scott Joplin avec le Ragtime JazzLouis Amstrong et son Jazz, et donc le Blues de Willian Christopher Handy

donnèrent, donc, jour à une industrie du divertissement lucrative et prospère qui était presque totalement aux mains d'américains blancs.

 

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L'enregistrement, la fabrication des disques à ses débuts en 1920-1922, était un processus discriminatoire, comme nous l'avons souligné dans la rubrique Race Music.

•

Rappelons que à cette époque, en 1920 exactement, les voix d'artistes musiciens Noirs enregistrées sont très rares :

seules les Majors Companies ont enregistré celle de Bert Williams, pour COLUMBIA Records, et Mamie Smith avec OKEH Records.

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Harry Herbert Parce est justement bien conscient de cette situation : il décide d'agir et de mettre en place une nouvelle structure novatrice et ambitieuse.

 •

"Les compagnies de disques n'avaient absolument pas dans l'idée d'enregistrer des musiciens de couleur, ou des chanteurs Noirs : j'ai donc décidé de monter ma propre

 

compagnie et de réaliser de tel disques car j'étais persuadé qu'ils se vendraient" Harry Herbert Pace "The Negro in New York" 1939.

 

 

 

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 - Harry Herbert Pace en 1942 (Source : PBB) -

 

 

Harry Herbert Pace est née le 6 janvier 1884 dans la petite ville de Covington, située dans l'état de Géorgie aux Etats-Unis.

 

Son père, Charles Pace est forgeron, il meurt en laissant le jeune Harry Herbert seul avec sa mère, Nancy Francis Page.

Le jeune Harry Herbert fait de brillantes études : il finit, à 19 ans à peine, ses études à l'Atlanta University en obtenant son diplôme comme Major de sa promotion.

Dés sa sortie de l'université, il occupe différents postes d'assistant de direction en se bâtissant une solide réputation de redresseur d'entreprise.

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C'est en 1912 qu'il rencontre William Christopher Handy, ce dernier se prit d'amitié pour Harry et ils écrivirent des morceaux de Blues ensemble.

En 1920 Harry Herbert Pace donne sa démission de son poste à Atlanta pour s'installer à New York City en achetant une magnifique demeure, sur Striver Row, à Harlem.

Il crée alors, avec William Christopher Handy, la société Pace and Handy Sheet Music : grâce au génie créatif de Handy, puis à la connaissance des entreprises de Pace.

Les premiers pas de la Pace And Handy Sheet Music company sont une véritable réussite : la compagnie est rentable et efficace au point de vue artistique !

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 Malgré cette réussite commerciale indéniable, Pace est fortement déçu et frustré : il observait les grandes maisons d'éditions, détenues par des blancs,

acheter les oeuvres des Bluesmen Noirs pour les faire réenregistrer, exactement à l'identique, par des artistes blancs de moindre qualité .....

De plus, quant il arrivait à ces mêmes compagnies d'employer du personnel noir, elles refusaient de les laisser chanter et jouer leur propre style musical !...

Face à ce constat accablant, Pace va donc prendre la décision d'ouvrir sa propre compagnie de disques !

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Notons, à propos de la naissance du label Black Swan, que beaucoup de chercheurs ont cru que William Christopher Handy en faisait partie dès l'origine.  

 •

 C'est William Chistopher Handy qui nous explique, lui-même, le fin fond de cette histoire : "En plus de mes problèmes, mon partenaire se retira de l'entreprise. Il était en

désaccords avec mes méthodes, mais aucune déplaisante ne fut échangée. Il avait simplement choisit le moment de couper les ponts avec notre firme de manière à organiser la

Pace Phonograph Company générant BLACK SWAN Records en proposant ainsi une offre alléchante sur le marché Noir.... Une grande part de nos employés l'accompagnèrent ....


La plupart des gens ne savait absolument pas que je n'avais aucune part dans la BLACK SWAN company !..."

 

 

 

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 - Logo Black Swan Records (Source : BSR) -

 

 

 Dans le New York City des années 1920, le quartier de Harlem inaugurait une renaissance des Arts et de la culture Noir.

Marcus Garvey va mener, entre autres, durant cette période le plus grand mouvement Noir de masse pour une fierté retrouvée.

Ce mouvement va toucher toutes les classes sociales de la population Noir aux Etats-Unis : même la classe moyenne, dont Pace fait partie,

étaient sensibles à la volonté de contrôler leur destin, de bâtir leur entreprises, de fabriquer leurs propres produits.... une véritable vague ...... 

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 La première compagnie que Pace va créer, la Pace Phonograph Incorporation en 1921, est d'ailleurs une des plus importantes nouvelles affaires dirigés par des Noirs.

Avec un capital de plusieurs dizaines de milliers de Dollars U.S, la compagnie est gérée depuis New York par les hommes d'affaires Noirs les plus compétents :

le Docteur Web DuBois, monsieur John E. Nail, V. BouttleMiss Viola Bibb, et enfin, Harry Herbert Pace qui dirige cette petite équipe d'une main de fer ...

 •

 En fait, il n'a pas été facile, pour Pace, d'intégrer et réussir dans l'industrie du disque : les compagnies dominées par les blancs lui mirent de nombreux obstacles en face.

 

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 Les exemples sont malheureusement nombreux : quand il essaya de travailler avec une compagnie locale de pressage de disques, une grande firme racheta carrément l'usine ...

Au final, il va réussir à trouver un studio d'enregistrement, mais un studio d'enregistrement situé dans le Wisconsin, à plus 1500 kilomètres pour Pace.

Après six mois de travail acharné, Pace est enfin prêt pour lancer sa firme BLACK SWAN Records : enregistrement, emballages et autres détails sont fins prêts !..

Pour la petite histoire, bien qu'il s'agisse plutôt ici de la "Grande Histoire du Blues", Pace choisit l'appellation BLACK SWAN pour rendre un hommage à l'oeuvre de

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Madame Elizabeth Taylor Greenfield (1819-1876), chanteuse Noire mythique de grand talent connue justement sous le nom de "The Black Swan" ("Le Cigne Noir").

  C'est Pace qui va créer le logo de BLACK SWAN Records en le dessinant lui même : c'est un élégant label noir et or avec un signe noir sur fond or, flottant sur une bannière.

Dans ses communiqués pour les différents journaux américains de tous bords, comme avec les journaux spécifiquement destinés aux Afro-Américains,

Pace souligne la question raciale en disant "Ce sont les seuls véritables disques faits par et pour des gens de couleurs ;  les autres se font passer pour tel !!!...." 

 

 

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 - Affiche de concert de Madame Elizabeth T. Greenfield en 1853 (Source : UCLA) -

 

 

 

Les trois premiers disques produit par la Pace Phonograph Company sont enregistrés par C. Carroll Clarke, un baryton originaire de Denver, ils sont tous faits en 1921.

Il va y avoir aussi Katie Krippen, une chanteuse de vaudeville qui chantait du Blues, ou encore Fletcher Henderson qui était le pianiste "maison" ;

mais, s'il n'y avait eu que la vente de ces premiers disques.... la compagnie aurait une existence bien plus courte et beaucoup plus obscure !....

En fait, aux premières heures de son existence, la compagnie ne produit pas réellement du blues : c'est plutôt de la musique Rag héritière de l'école européenne. 

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 Quoi qu'il en soit, l'entreprise financière engagée pour soutenir la compagnie de disque est une franche et véritable réussite : d'ailleurs, en janvier 1922,

 •

Harry H. Pace fait publier un rapport financier très positif sur la première année d'existence de la compagnie de Pace.

 

Cette habile et astucieuse stratégie de communication va attirer l'attention de beaucoup de monde sur la réussite financière de l'entreprise.

 

La compagnie dont l'investissement est, au départ, autour des 30 000$ U.S. va réussir à engendrer plus de 100.000 $ U.S de bénéfices en moins d'une année.  

 

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 L'important bénéfice de la compagnie représentait, donc, pas moins de quatre fois l'investissement de base : une réussite éclatante !

Harry H. Pace en profita pour affirmer que  ce succès "récompensait les Noirs de leur labeur", n'oublions pas que la compagnie est bâtie sur des fondements Noirs.

Ce qui est certain, c'est que cette réussite va profiter indiscutablement aux nombreux employés, techniciens et artistes, tous justement Noirs.

Mais, n'oublions pas que cette compagnie va aborder tous les genres musicaux, même si elle représente, pour tous, les premiers pas de la musique Afro-Américaine.

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La Pace Phonograph Company va, en effet, enregistrer et produire de la musique d'Opéra, de Chorales, et même d'Orchestres Symphoniques !...

En fait, les affaires allaient si bien pour la compagnie de Harry H. Pace, qu'il évoque même dans un article, en 1922 pour le journal "New York Age",

la commercialisation d'un phonographe, le modèle "Swanola" : il pensait que c'était un secteur d'avenir pas encore assez mise en exergue ..... 

Pour cela il voulait former et préparer tout son personnel Noir pour poursuivre l'aventure : un rêve malheureusement resté inachevé .....

 

 - Référence musicale 8 (en bas d'article) -

 

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- Encart Publicitaire OKEH Records circa 1930 (Source : OR) - 

 

 

Le fort succès de la compagnie et de la Race Music va faire naître une compétition sur les prix et rabais faits par les autres labels, comme OKEH Records.

En fait, beaucoup d'Afro-Américains, spécialement dans l'industrie florissante du divertissement, en voulaient à Harry H. Pace :

il est vrai que ce dernier avait, en partie, brisé et renoncé à sa promesse initiale d'une maison de disque exclusivement composée de Noirs....

Harry H. Pace ne voulait justement retomber dans les travers communautaristes et néfastes, surtout, il ne voulait pas reproduire le comportement qu'il combattait...

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Notons que pour sa communication Harry H. Pace faisait toujours croire que la compagnie est dirigée, et ne produit que des musiciens Noirs...

C'est en mars 1923, exactement, que la Pace Phonograph Company est renommée par Harry H. Pace la BLACK SWAN Company.

Malheureusement, ce changement de nom annonce des jours plus sombres pour la compagnie qui va être victime du sort !

En effet, c'est la rapide diffusion des appareils de radios qui va faire littéralement chuter les ventes de disques de la compagnie de Harry H. Pace.

 

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Les ventes de disques de la compagnie BLACK SWAN passent de plus de 3000 unités vendus par jour, à moins de 1000 unités : l'usine doit fermer,

avant d'être vendue aux enchères et rachetées par une autre compagnie de Chicago qui fabriquait elle aussi ses propres disques.

Malgré ses terribles revers, Pace va continuer à vendre ses disques en produisant des artistes au cas par cas, quand les finances le permettaient...

En décembre 1923, la compagnie de disques BLACK SWAN est déclarée en faillite, le catalogue du label va être racheté par Paramount Records.

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L'influence des disques que la compagnie de Harry H. Pace vont avoir une influence considérable pour les premières heures du Blues.

Grâce au travail de Harry H. Pace, les grande compagnies de disques ne pouvaient plus ignorer les musiciens et artistes chanteurs Noirs.

L'aventure de BLACK SWAN va enfin permettre d'ouvrir l'industrie du spectacle et du disque aux Noirs, les journaux ne peuvent plus désormais les ignorer...

De nos jours, les grandes Stars du Show Business Afro-Américain, aux salaires mirobolants, ont une dette envers ce travail précurseur et puriste de Harry H. Pace.

 

Alexandre Saillide-Ulysse. 

 

 75 M.N.S ®

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 - Encart publicitaire pour le phonographe à 78 Tours, le VICTROLA, en 1923 (Source : BM) -

 

Sources :

 

- Gérard Herzhaff " La grande Encyclopédie du Blues" - Editions Fayard, Paris, 1997-2005

- Robert Springer "Les fonctions sociales du Blues" , Editions Parenthèses, Paris, 1999

- Jacques Demètre et Marcel Chauvard " Voyage au pays du Blues", Editions CLARB, Levallois-Perret, 1995

- Robert Sacré "Les Negro Spirituals et les Gospel Songs", Editions PUF, Paris, 1995

 

Références musicales :

 

- Sélection 1 : Skip James "Devil Got Woman" - PARAMOUNT Records (78 Tours) - 1931

- Sélection 2 : Ed Lewis "I Be Glad When The Sun Goes Down" - Enregistré par John Lomax sur bande en 1934

- Sélection 3 : Kelly Pace & Prisoners "Rock Island Line" - Enregistré par John Lomax sur bande en 1934

- Sélection 4 : Prison Song Texas Penitentiary "Early in the Morning" - Alan Lombard Prod, circa 1950

- Sélection 5 : William Christopher Handy "St Louis Blues" PARAMOUNT Records (78 Tours) - 1922

- Sélection 6 : Robert Johnson "Sweet Home Chicago" - VOCALION Records ( 03601) (78 Tours) - 1938 

- Sélection 7 : Ethel Waters "Down Home Blues" - PARAMOUNT Records (78 Tours) - 1921

- Sélection 8 : Lonnie Johnson "Blues In G" - OKEH Records - (78 Tours) 1928



23/04/2016
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