Le Cercle Modernist

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Alan Lomax (1915/2002)

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Alan Lomax en 1942  (Source : BNF) -

 

Cette rubrique habituellement dédiée aux musiciens de Blues Afro Américain, déroge exceptionnellement à cette règle en s'intéressant à un ethnomusicologue précurseur de génie : monsieur Alan Lomax (1915/2002). Infatigable "chasseur" de sons, il va jouer un rôle primordial pour la reconnaissance des musiques traditionnelles, dont justement le Blues, indissociable de ses racines ancestrales.

Les innombrables enregistrement réalisés par Alan et John Lomax pour la Bibliothéque du Congrès des Etats-Unis à partir de 1933, ainsi que le livre "Le pays où naquit le Blues" sorti en 2012, sont des documents incontournables permettant de mieux comprendre la véritable histoire de l'authentique Blues Afro Américain. Une musique profondément liée à l'émergence de l'authentique culture Modernist.

 

- Référence musicale 1 (en bas d'article) -

 

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 - John Lomax et son épouse Margaret avec Alan Lomax enfant circa 1920 (Source: JLIII) -

 

"L’essence de l’Amérique ne réside pas dans les héros en tête d’affiche... mais dans le quotidien, des gens qui vivent et meurent inconnus, mais qui laissent leurs rêves en héritage" Alan Lomax

 

Alan Lomax est né le 31 janvier 1915dans la ville d'Austin, fière capitale de l'immense état du Texas. Alan Lomax est le fils de John Lomax (1867/1948lui-même musicologue et folkloriste. John Lomax, va débuter sa carrière en devenant enseignant en exerçant dans le milieu rural. En 1895, le père de Alan Lomax intègre l'Université du Texas, il va spécialiser en littérature anglaise et écrit un livre dès 1910, "Cowboy Songs and Other Frontier Ballads" devenu best-seller,

L'existence de la famille Lomax va radicalement changer lorsque le père d'Alan décide de faire une proposition audacieuse à la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis. En effet, John Lomax propose de se faire prêter du matériel d'enregistrement (c'est à dire un studio mobile et des disques vierges). En échange du prêt de ce matériel hors de prix à la pointe de la technologie, John Lomax fait une promesse à son interlocuteur.

Il va se charger avec sa famille d'enregistrer et de documenter des chants et des musiques folkloriques et traditionnelles à travers l'ensemble des Etats-Unis pour cette prestigieuse institution. C'est donc avec son père, dès 1933qu' Alan Lomax va débuter sa carrière. A peine âgé de 18 ans, le jeune Alan est aux anges, il va enfin travailler auprès de son père dans la Bibliothèque du Congrès.

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La Bibliothèque du Congrès (Library of Congress) est mondialement réputée pour sa collection pléthorique de livres, qui représente plus de 36 exemplaires. Le site, construit à la fin du XIXe siècle, possède une architecture monumentale avec sa rotonde et son hall en marbre blanc. Durant tout le XIXe siècle, les locaux de la Bibliothèque du Congrès vont rester au sein du Capitole, véritable symbole de gouvernement démocratique des Etats-Unis d'Amérique.

Puis, durant la guerre Anglo Américaine de 1812 une grande partie du fonds issue de la collection initiale va malheureusement disparaître. Après une période de déclin au cours du XIXe siècleBibliothèque du Congrès a commencée à recroître rapidement en taille et en importance. La croissance a été si forte qu'un agrandissement a été fait avec la construction d'un nouveau bâtiment, inauguré en 1897.

Au cours du XXe siècle, la Bibliothèque du Congrès va s'engager dans nouvelle politique pour devenir accessible à tous les citoyens américains publics. Tout en étant, en premier lieu, une bibliothèque destinée aux représentants parlementaires, sont fonds pléthorique de livres est aussi destiné aux chercheurs et étudiants du monde préparant un doctorat ou une thèse universitaire.

 

Référence musicale 2 (en bas d'article) -

 

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 -  John Lomax (1867/1948) le père d'Alan Lomax (SourceLBOC ) -

 

Après avoir obtenu brillamment son diplôme de philosophie à l’Université du Texas en 1936, Alan Lomax va débuter un nouveau travail de recherches à Haïti avec sa femme, Elizabeth Lyttleton Harold. Envoutante île des Caraïbes qu'il va retrouver quelques années plus tard, comme nous le verrons. L’année suivante, en 1937, Alan Lomax est nommé assistant en charge des archives de la chanson folklorique et traditionnelle américaine au sein de la Bibliothéque du Congrès.

Alors qu’il effectuait Ses études supérieures en anthropologie à l’Université Columbia, Alan Lomax va saisir l'opportunité de produire une émission à la radio. La radio était le principal moyen d'information dans les années trente. C'est donc en 1939 qu'il produit sa toute première émission musicale radiophoniques intitulée "American Folk Songs, Wellsprings of Music" pour la grande et riche compagnie radiophonique CBS de New York City.

Grâce à la grande réussite de sa première émission de radio, quelques mois plus tard Alan Lomax est choisit pour produire une nouvelle série?   "Back Where I Come From", destinée à être diffusée aux heures de grande écoute. Cette série a l'objectif de présenter à l'ensemble du public national des talents locaux tels que Woody Guthrie (1912/1967), ou encore l'immense Huddie Ledbetter plus connu comme l'immense guitariste, chanteur compositeur Lead Belly (1888/1949).

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Ce sont ses longues conversations avec Lead Belly qui vont encourager Alan Lomax à explorer davantage le genre de la biographie orale. Pour la petite histoire, d'autres conversations, cette fois avec le pianiste Jelly Roll Morton (1890/1941) enregistrées en 1938 dans l’auditorium Coolidge de la Bibliothèque du Congrès, vont être à la base de "Mister Jelly Roll : The Fortunes of Jelly Roll Morton". Un récit vraiment remarquable et essentiel pour quiconque souhaite comprendre l’histoire de l'authentique musique Jazz Afro Américaine, qui va inspirer deux comédies musicales de Broadway à New York.

Alan Lomax va donc s'appuyer sur l’intérêt suscité par ses travaux et ses livres, disques et émissions comme le concert au Town Hall qui va lui permettre de présenter la musique Blues Afro Américaine, du Flamenco de Buenos Aires, ou le style Calypso de l'île de la Jamaïque, ainsi que des ballades sudistes des années 1940, tous des genres encore relativement inconnus à cette époque.

Alan Lomax va donc voyager à travers l'immense territoire américain, dans la région montagneuse du Mississippi, il va documenter des styles de musiques qui étaient restés remarquablement proches de leurs racines africaines. Dans le Delta, il a interviewé et réalisé les premiers enregistrements du chanteur et guitariste McKinley Morganfield, âgé de 29 ans, plus tard connu sous le nom légendaire de Muddy Waters (1915/1983).

 

- Référence musicale(en bas d'article) -

 

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-  Manuscrits de Alan Lomax de la Bibliothéque National du Congrès 1941-1942 (Source LBOC ) -

 

A la fin des années 1930, Alan Lomax, accompagné par Pete Seeger un de ses amis musiciens  appelé le "premier stagiaire des archives", va collecter sur le terrain des enregistrements en voyageant dans le Deep South. Pete Seeger. John et Alan Lomax vont être les premiers à enregistrer des grands musiciens de Blues Afro Américain comme les immenses Huddie "Lead Belly" ou McKinley Morganfield, futur Muddy Waters.

Lead Belly (1888/1949), de son vrai nom Huddie Ledbetter, est une légende de la musique de Louisiane, intimement lié à Alan LomaxLead Belly nous lègue incontestablement une immense œuvre musicale qui va influencer l'ensemble de la musique contemporaine durant le XXe siècle. Lead Belly était un précurseur, un maître de la guitare à douze cordes qu'il accompagnait de sa puissante voix aiguë.

Le morceau le plus connu de Lead Belly est "Goodnight Irene", il va atteindre les meilleures places des charts en 1950Huddie Ledbetter dit Lead Belly voit le jour en 1888 dans une plantation située près de la petite ville de Mooringsport dans l'état de Louisiane. Lorsqu'il à l'âge de cinq ans, il va déménager, avec son père Wesley Ledbetter et sa mère Sally Ledbetter, à Leigh, petite ville situé dans l'état du Texas.

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C'est durant cette période  que le jeune Lead Belly apprends à jouer avec son premier instrument de musique, un magnifique accordéon offert par son oncle. C'est à partir de 1905 que Lead Belly débute sa carrière de jeune guitariste. Comme la plupart des artistes Afro Américains, Lead Belly doit également travailler comme ouvrier, pour compléter ses maigres revenus de musicien.

Lead Belly, avait malheureusement aussi une face sombre qui se manifestait à travers son penchant pour la bagarre. Un mauvais penchant qui va le confronter à des déboires avec la justice qui le condamne à une première fois peine de prison. Plus tard, en 1918 plus exactement, les choses s'aggravent pour Leadbelly lorsqu'il est accusé d'avoir tué un homme lors d'une rixe. Même si il clame avec force son innocence, le tribunal le condamne pour la seconde fois.

Cette fois, Lead Belly écope d'une longue peine de vingt ans de prison. Il est donc envoyé dans un pénitencier au Texas, il est finalement libéré sept années après sa mise sous écrous. Pour la petite histoire, la légende dit que la libération de Lead Belly est due à une chanson qu'il a écrite pour  Pat Neff le gouverneur de l'état du Texas. Selon la version officielle, Lead Belly est libéré pour cause de bonne conduite durant sa longue incarcération.

 

Référence musicale 4 (en bas d'article) - 

 

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 Lead Belly (1888/1949) avec sa guitare à 12 cordes (Source : BU ) -

 

En 1930 Lead Belly reviens de nouveau en prison mais cette fois en Louisiane pour tentative de meurtre. Ce retour dans le milieu carcéral est un échec pour l'homme, mais par un heureux hasard, c'est durant qu'il purge sa peine de prison qu'il est découvert en 1933 par les musicologues John et Alan Lomax qui débute justement leur recherches musicales en enregistrant des musiciens mis sous écrous.

Immédiatement séduits par son charisme et impressionné par son talent de musicien, John et Alan Lomax vont enregistrer ses prestations grâce à leur équipement mobile fournit par la compagnie CBS pour la Bibliothéque du Congrès. Il faut souligner que les deux musicologues vont activement soutenir et avoir un rôle central pour faire sortir Lead Belly de prison, grâce à une pétition remise et acceptée par Oscar K.Allen, le gouverneur de Louisiane.

Littéralement sauvé par les Lomax, Lead Belly va se sentir redevable toutes son existence envers les musicologues. La relation entre les deux hommes était forte et authentique. Dès que Lead Belly sort de prison, Alan Lomax le prends sous son aile. Fin 1934, Alan Lomax et Lead Belly partent ensemble à New York. L'année suivent en 1935, Lead Belly épouse Martha Promise. La même année, il entre enfin dans les studios d'enregistrements de l'American Recording Corporation.

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Malgré l'indéniable qualité de ses enregistrements, le public n'est pas encore prêt pour cette musique authentique, il ne remporte qu'un succès commercial modéréEn fait, ses enregistrements ne rencontrent pas le succès escompté. La raison principale de ce demi échec est que l'American Recording Corporation va insister pour qu'il enregistre des morceaux dans un style uniquement Blues, alors que Lead Belly était beaucoup plus connu pour des morceaux de type Folk, un style beaucoup plus rural.

Au niveau personnel les choses ne se passent pas bien, le jeune couple connaît des problèmes d'argent, de plus Lead Belly a encore des problèmes avec la justice de son pays. En 1939, il est de nouveau emprisonné pour des violences aggravées. Malgré ses nombreux séjours en prison, Lead Belly ne va jamais lâcher sa passion pour la musique. D'ailleurs, dès sa sortie de prison en 1940, il rejoint New York City pour participer à la scène musicale montante de Blues et Folk.

C'est à cette époque qu'il se lie d'amitié avec Woodie Guthrie et le jeune Pete Seger. Entre 1940 et 1945, enregistre à tour de bras. Lead Belly travaille d'arrache pieds pour la la Bibliothèque du Congrès, tout en enregistrant pour la compagnie de disques RCA et pour Moe Asch le fondateur du label Folkway RecordsPuis, en 1944, il enregistre les meilleures morceaux de son riche répertoire pour la compagnie californienne Capitol Records.

 

- Référence musicale 5 ( en bas d'article) -

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Lead Belly à la guitare, Alan Lomax à la machine à écrire circa 1934 (Source : Col. L.B©) -

 

A la fin des années 1940Lead Belly est devenu célèbre, il est convié en 1949 a faire une tournée de concerts sur le Vieux Continent. Malheureusement, il tombe malade avant la fin de cette tournée de concert, le médecin lui diagnostique une sclérose latérale amyotrophique qui va être fatale. En effet, Lead Belly meurt à 64 ans, en raison de cette sclérose latérale à la fin de l'année 1949. Après une cérémonie très intime, Lead Belly est inhumé, et accompagné par ses chants spirituals chéries, au cimetière de Shiloh Baptist Church dans l'état de Louisiane.

Dans les années 1930 et 1940, Alan Lomax va fréquemment travailler avec des producteurs de concerts à New York. Ces concerts lui permettent de faire connaître au grand public des styles de musiques peu connus en apportant directement sur scène de l'authentique musique traditionnelle. Parmi ces productions, un concert caritatif en faveur des migrants du Dust Bowl qui s’est tenu au Forrest Theater de New York en mars 1940, va avoir un succès retentissant.

Peu connu, le phénomène du Dust Bowl est le nom donné à une série de tempêtes de poussière provoquant une véritable catastrophe écologique et agricole dans les années 1930, en particulier dans les états de l'Oklahoma, du Kansas et du Texas. Il est en grande partie provoqué par les mauvaises pratiques agricoles humaines qui vont littéralement dépouiller la terre de son herbe naturelle.

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Véritable progressiste comprenant et respectant les différentes cultures aux Etats-Unis, Alan Lomax s'intéresse le début de ses travaux aux pénitenciers et aux comtés ruraux du sud du pays. De plus, musicologue et ethnologue universitaire, Alan Lomax sait qu'il pourra y enregistrer des précieux chants de prisonniers Afro Américains, ainsi que ceux des travailleurs des plantations du Deep South. Pour Alan Lomax, ces artistes représentaient une sorte de "Conservatoire des Chants Noirs du Sud".

Dès la fin des années 1930 les enregistrements des Lomax sont considérés par les spécialistes comme des véritables pépites permettant de remonter le fil de l'histoire de la musique Afro Américaine. De plus, en diffusant leurs travaux au grand public John et Alan Lomax vont contribuer à dédiaboliser la musique Afro Américaine aux yeux d'un public américain encore largement influencé par le spectre de la ségrégation raciale toujours très active dans les états du Sud des Etats-Unis.

En transformant l’arrière de leur voiture afin d’y loger le couteux matériel de gravure de cylindres généreusement prêté par la Bibliothéque du CongrèsAlan Lomax nous lègue une partie des grands secrets du "Pays Où Naquit Le Blues". Justement le titre de son livre, sorti en 2012, qui nous raconte ce passionnant et fabuleux voyage dans lequel il fait revivre avec force et conviction les précieux chants spirituals, les énergiques danses et l'authentique musique Blues des Noirs du Delta.

 

- Référence musicale 6 (en bas d'article) -

 

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 - Couverture du livre d'Alan Lomax" "Pays Où Naquit Le Blues" sorti en 2012  (Source : 75 M.N.S®) -

 

Parallèlement à son poste au sein de la Bibliothèque du Congrès, Alan Lomax va poursuivre sa prolifique carrière en travaillant également pour l’Office of War Information ainsi que pour le service de radio des forces armées des Etats-Unis, pour lesquels il va produire de nombreuses émissions de musique. Très demandé, il va également travailler pour la prestigieuse British Broadcasting CorporationBBC en contribuant activement à renforcer les liens entre ces deux pays anciens ennemis, désormais devenus frères d'armes.

En 1947, Alan Lomax reviens dans le Mississippi avec son premier magnétophone portable pour faire des enregistrements haute fidélité des offices dans des églises du Delta du Mississippi, ainsi que des chants de travail des prisonniers à Parchman Farm, le tristement célèbre pénitencier d’état. Il faut comprendre qu'Alan Lomax avait un profond respect pour ces douloureux chants de travail des prisonniers noirs qu’il estimaient être parmi les plus grandes musiques du monde.

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Les chants spirituals offraient la possibilité aux esclaves noirs de pouvoir rêver et de fuir, pendant un court instant, leurs souffrances et terrible conditions d'existence. Les  chants spirituals sont le résultat d'un savant mélange de rythmes venus d’Afrique mélangés avec des cantiques religieux entendus auprès des Blancs. Ces chants sont très prenants, presque mystique. Les spirituals leurs permettent d'exprimer leur terrible conditions d'esclave,  tout en se donnant de la force, du courage, pour lutter et espérer une prochaine liberté.

Les chants spirituals étaient aussi un véritable moyen de lutte contre l'esclavage. Ils véhiculaient souvent, avec une grande ingéniosité, un message secret et codé. Très peux de ces chants codés vont d'ailleurs être finalement décryptés. Certains de ces chants spirituals indiquaient par exemple avec une grande précision les moyens de rejoindre les routes de la liberté, dont le fameux, mythique et mystérieux réseau de transport secret appelé "Underground railroad". 

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L' Underground railroad était plus exactement un réseau de transport ferroviaire secret. Il est mise en place au XIXe siècle par des hommes et des femmes épris d’égalité et de liberté dans l'objectif aider des milliers d'esclaves à fuir le Sud ségrégationniste pour rejoindre les Etats libres du Nord. Le nom de ce réseau fait référence au réseau ferroviaire non pas parce qu'il utilise les chemins de fer, mais en référence à l'organisation collaborative mise en place pour le faire vivre.

En effet, les esclaves fuyant le Sud étaient accompagnés pour avancer très discrètement de proche en proche justement comme sur des rails invisibles. La métaphore était donc filée sur tout le parcours : les maisons, granges et églises abritant des esclaves étaient des "gares" tenues par des "chefs de gare", les fugitifs des "passagers", véhiculés par des "conducteur". Ce voyage secret était périlleux et très long, il pouvait durer parfois plus d’un an.

C'est dans les années 1950, qu'Alan Lomax va être sollicité pour faire une compilation de musiques folkloriques et traditionnelles dans le monde. Le projet était large, il comprenant série de 18 albums vinyles édités par Columbia Records. Pour la petite histoire, ce projet projet anticipe, brillamment, de plusieurs années un projet portant sur une compilation identique de diverses musique du monde. Un projet produit par l’UNESCO, institution internationale spécialisée de l'Organisation des Nations unies.

 De retour aux États-Unis en 1958, Alan Lomax fait deux autres longs voyages, directement sur le terrain comme il affectionne tant. Il voyage plus précisément à travers le Deep South des États-Unis pour dénicher des musiciens inconnus. Ses nombreux nouveaux enregistrements stéréo, connus sous le nom de "Southern Journeyont", vont lui permettre de produire dix-neuf albums publiés au début des années 1960 par les labels Atlantic Records (voir ci-dessous) et Prestige International. Des superbes et précieux disques vinyles particulièrement recherchés par les collectionneurs de nos jours.

 

Référence musicale 7 (en bas d'article) -

 

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 - Album vinyle Atlantic Records avec les enregistrements d'Alan Lomax en 1958 (Source : 75 M.N.S®) -

 

En 1962, Alan Lomax réalise une vaste étude portant sur la musique traditionnelle des Caraïbes orientales, sous les auspices de l’Université des Indes occidentales. Grâce à un nouveau matériel, il va pouvoir faire ses nouveaux enregistrements en mode stéréo. Il va voyager d'îles en îles dans les magnifiques Caraïbes, à Haïti, puis aux Bahamas. Par la suite, il va même continuer ses travaux en se rendant à Saint-Domingue durant l'année 1967.

Au final, Alan Lomax va enregistrer pour ce projet un véritable corpus de tous des chants des Caraïbes, un travail titanesque qui s’élève à plus 150 heures de musique enregistrée (!) avec des interviews et des konts, c'est à dire des chansons-histoires traditionnelles des Caraïbes. De la même façon qu'avec les artistes inconnus de musique Blues Afro Américaine, Alan Lomax va ressusciter des artistes caraïbéens oubliés en remettant au gout du jour des traditions musicales ancestrales oubliées.

Durant cette même période, Alan Lomax va également publier un livre véritablement novateur, intitulée "Folk Songs of North America". Ce livre va d'ailleurs déboucher sur un vaste programme de recherche portant sur ses différents enregistrements de pointe. De fait, Alan Lomax et ses collègues, dont le musicologue Victor Grauer et l’anthropologue Conrad Arensberg de l’Université Columbia, vont développer une toute nouvelle technique de pointe de méthodologies. 

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Cette technique de pointe est une méthode novatrice dénommée "Cantometrics, Choreometrics, and Parlametrics". Méthode qui est dédiée à l’analyse comparative du chant, de la danse et de la parole. Des sujets justement indissociables des études de musicologie ethnologique entreprise par Alan Lomax et son équipe de chercheurs. Les passionnants résultats de cette analyse vont être publiés dans le magazine "Folk Song Style and Culture", périodique officielle de la très réputée American Association for the Advancement of Science de Washington.

En plus de ses nombreux travaux de recherches et enregistrements de chants et musiques folkloriques et traditionnelles pour la Bibliothèque du Congrès commencés dès les années 1930, Alan Lomax va également lui même jouer et enregistrer en tant que musicien. En effet, devenu un véritable spécialiste des musiques traditionnelles, le musicologue va se muter en musicien pour mieux comprendre ses étudesMême si Alan Lomax n'a pas d'œuvre discographique propre avant 1956. il va participer a différents projets musicaux.

Tout d'abord comme membre d'un groupe, puis dans le cadre d'une compilation musicale de musiques traditionnelles avec huit disques vinyles répartis autour de 4 disques en format 45 tours, ainsi qu'un album en format 33 tours. Alan Lomax y interprète des chants populaires traditionnelles dans la tradition des chansons de cow-boys du Texas en utilisant le style "skiffle".

Le skiffle est une musique folklorique traditionnelle comprenant des influences de musiques Folk, Blues, Country, Bluegrass et Jazz. Le skiffle est à l'origine interprété à travers un mélange d'instruments fabriqués et faits maison comme  une planche à laver (washboard) faisant office de batterie ou des instruments de musique taillés dans des boites de conserves. La carrière discographique et d'interprète musicien s'arrête en 1960 pour se recentrer sur ses travaux de recherches.

 

- Référence musicale 8 (en bas d'article) -

 

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 John Lomax en plein enregistrement  près de Sumterville dans l'Alabama en 1940 (Source : BU) -

 

Tout au long des années soixante-dix et quatre-vingt, Alan Lomax a publié des articles spécialisés pour différentes revues, mais aussi du matériel pédagogique et des films basés sur son travail. Cantometrics : An Approach to the Anthropology of Music, publié pour la première fois en 1976, représentait une approche réellement nouvelle, et démocratique, de l’étude de toutes les musiques du monde.

Trois films pédagogiques, Dance and Human History, Step Style et Palm Play, produits dans les années 1970, ont initié les étudiants à la chronométrie, discipline qui s'occupe de la mesure exacte du temps. Ces film mettent en avant des données historiques et une analyse chronométrique des notes pour souligner les continuités culturelles entre les peuples Sibériens et les autochtones d’Amérique du Nord et du Sud.

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La renommée mondiale d'Alan Lomax était telle qu'il va être sollicité en tant que consultant du scientifique américain Carl Sagan (1934/1996). Véritable pionnier de la science fictionCarl Sagan a été le concepteur et l'animateur de la série télévisée Cosmos, diffusée dans le monde entier et qui va contribuer à faire susciter de l'intérêt pour la recherche spatiale et faire mieux connaître la science. Carl Sagan avait bien compris l’importance de la communication pour nourrir la part de rêve du projet.

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Sur la demande de Carl Sagan, c'est Alan Lomax qui va compiler la collection audio accompagnant la sonde spatiale Voyager de 1977. C'est un véritable consécration pour ce véritable chasseurs de sons ! Alan Lomax va apporter un soins particulier à sa bande sonore en étant particulièrement attentif à ce que toute la musique du monde soit transportée vers les étoiles célestesComme si ses longs travaux de recherches le prédestinait à faire cette noble œuvre.

C'est donc sous le nom de Voyager Golden Record, que ce disque d'or imaginé par Carl Sagan est fixé sur les sondesLa collection audio accompagnant la sonde spatial comprend, tout d'abord, des enregistrements d'authentiques musiques traditionnelles Afro Américaine avec le Blues du chanteur et guitariste Blind Willie Johnson (1897/1945), ainsi que le Jazz de l'immense maître Louis "Satchmo" Armstrong (1901/1971).

Grâce aux connaissances accumulées lors de ses recherches, Alan Lomax va également être attentif à ne oublier de mettre de la flûte de Pan andine, des chants indiens Navajo, la complainte d’un mineur de soufre en Sicile, la musique vocale polyphonique des Mbuti du Zaïre et des Géorgiens du Caucase, avec en plus, de la grande musique classique des maîtres Bach (1685/1750), Mozart (1756/1791) et bien sur Ludwig van Beethoven (1770/1827). La boucle musicale temporelle est magistralement composée !

 

Référence musicale 9 (en bas d'article) -

 

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 - Le Golden Record de Carl Sagan et Alan Lomax fixé sur la sonde spatiale Voyager en 1977 (Source : BNF) -

 

Alors qu’il est dans la soixantaine, Alan Lomax se lance dans une dernière série d’excursions aux États-Unis, cette fois avec une équipe de tournage et des idées de scénario pour explorer plusieurs cultures musicales régionales et ethniques américaines fertiles. Cela a abouti à American Patchwork, une série télévisée primée de cinq heures, diffusée sur PBS en 1990.

Toujours en 1990, Blues in the Mississippi Night est réédité sur Rykodisc, et Sounds of the South, un coffret de quatre CD des enregistrements sudistes de Lomax de 1959, est heureusement réédité par Atlantic Records en 1993. La collection Alan Lomax une série de CD compilant les six décennies de carrière discographique, compte plus d’une centaine de volumes.

En 1989, dans le prolongement de ses recherches, Alan Lomax, accompagné d'une nouvelle équipe de jeunes chercheurs, va commencer à compiler un nouvel et ambitieux projet appelé le Global Jukebox. Ce projet novateur est de développer une base de données interactive multimédia qui examine les relations entre la danse, le chant et l’organisation sociale.

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Le projet est largement influencé par l’Urban Strain, une étude scientifique menée dans les années 1980 sur la musique populaire du XXe siècle aux Etats-Unis par un musicien de Jazz Roswell Rudd accompagné par une ethnologue de la danse, madame Forrestine PaulayLe projet, l'idée, d'Alan Lomax est de constituer une sorte de Jukebox dans l'objectif de mener des recherches scientifiques sur le comportement expressif humain.

Le projet est également un d’outil didactique dédié à l’enseignement des sciences sociales, des arts et des sciences humaines. Alan Lomax voulait en fait promouvoir le culturelle concept d’équité culturelle dans la société. Ce concept d’équité culturelle signifie pour Alan Lomax de donner à toutes les cultures une tribune valable dans les médias et dans les programmes éducatifs pour l’affichage significatif de leurs arts et de leurs valeurs.

Alan Lomax va finalement prendre sa retraite en 1996 pour vivre paisiblement en Floride avec sa fille et son petit-fils. C'est en Floride que ce grand monsieur meurt le 19 juillet 2002. Mais, avant sa disparition, le travail précurseur et acharné d'Alan Lomax va être largement reconnu par les spécialistes et récompensé par le grand public à travers de très nombreux prix. La liste de ces différentes récompenses est vraiment pléthorique.

Parmi celles ci, Alan Lomax reçoit en 1984 la National Medal of Arts du président des Etats-Unis d'Amérique Ronald Reagan. Plus tard, en 1993, il reçoit le National Book Critics' Circle Award for Nonfiction pour "The Land Where the Blues Started". En 2000, il a été fait légende vivante de la Bibliothèque du Congrès. Puis en 2002 il obtient un  doctorat honorifique en philosophie de l’Université Tulane, suivi en 2003 d'une récompense au Grammy Trustees' Award à titre posthume.

 

Référence musicale 10 (en bas d'article) -

 

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 - Alan Lomax à la guitare avec des chanteurs dans l'état de Géorgie, émission CBS en 1962 (Source : CBS/G.I) -

 

Tout comme Everett LeRoi Jones (1934/2014), plus connu sous le pseudonyme d'Amiri Baraka auteur de l'ouvrage "Blues People: Negro Music in White America" (que vous pouvez retrouver dans le Cercle Modernist), Alan Lomax à rôle déterminant pour la compréhension et la reconnaissance de l'authentique Blues Afro Américain.

 Alan Lomax nous rappel avec force et conviction que la musique est toujours profondément liée à une terre, à une tradition ancestrale. Grâce à ses recherches d'avant garde, il va donner une nouvelle dimension à l'authentique Blues Afro Américain en l'introduisant dans notre héritage musical contemporain. Un legs considérable, justement mis en exergue par l'authentique culture Modernist.

 

Alexandre Saillide-Ulysse

75 M.N.SⓇ

 

Sources :

 

- Robert Palmer "Deep Blues : du delta du Mississippi à Chicago, des Etats-Unis au reste du monde, une histoire culturelle et musicale du Blues"

(traduction de Olivier Borre et Dario Rudy) éditions Allia, Paris, 2020.

 

- Stéphane Koechlin "Le Blues : Les musiciens du diable"

éditions Castor AstralParis, 2014.

 

- Alan Lomax "Le pays où naquit le Blues"

 (traduction de Jacques Vassal) éditons Les Fondeurs de briques, Saint- Sulpice-la-Pointe, 2012.

 

- Frantz Duchazeau "Alan Lomax, collecteurs de Folk Songs"

 éditions Dargaud, Paris, 2011 (réédition).

 

- Gérard Herzhaft  "La Grande encyclopédie du Blues"

éditions Fayard, Paris, 2008 (1er édit 1997).

 

David Ausseil, Charles-Henry Contamine et Denis Chapoullie "La Route du Blues", éditions J.-P. Barthélémy, Besançon, 1995.

 

Jacques Demêtre et Marcel Chauvard "Voyage au pays du Blues", éditions CLARB, Levallois-Perret, 1994.

 

- William Ferris "Blues From The Delta"

éditions Grand Central Publishing, Londres, 1988 (1er édit rare 1978).

 

- Divers numéros des magazines spécialisés "Soul Bag", "Blues Unlimited", "Blues Magzine".

 

 

Références musicales :

 

- Sélection 1 : Negro Songs fron the Mississippi State Penitentiary

 "Early In The Mornin" - Tradition Records (TLP 1020) - 1958

 

- Sélection 2 : Menphis Slim "Fast Boogie"

Rounder Select Records (CD 8216) - 2003

Nota : enregistrement original sur 78Tours par American Recording Corporation en 1935

 

- Sélection 3 : McKinley Morganfield  "Country Blues"

Universe Records (UV111) - 2004

Nota : enregistrement original sur 78Tours par The Library Of Congress en 1942

 

- Sélection 4 : Lead Belly "Rock Island Line"

Storyville Records (Danemark/A45057) - 1961

Nota : enregistrement original sur 78Tours par American Recording Corporation en 1935

 

- Sélection 5 : Lead Belly "The Burgeois Blues"

Storyville Records (SLP 139) - 1963

Nota : enregistrement original sur 78Tours par American Recording Corporation en 1935

 

- Sélection 6 : Robert Johnson "Cross Road Blues"

Columbia Records (Netherlands EP 6566687- 1991

Nota : enregistrement original sur 78Tours par Vocalion Records en 1936

 

- Sélection 7 : Fred McDowell "Keep Your LampsTrimmed And Burning"

Atlantic Records (SD-1346) - 1960

 

- Sélection 8 : Mississippi Fred McDowell "Baby Please Don't Go"

Capitol Records (UK/E-ST409) - 1969

Nota : enregistrement original sur 78Tours par American Recording Corporation en 1935

 

- Sélection 9 : Blind Willie Johnson "God Moves On The Water"

Fontana Records (UK/TFE 17052) - 1961

Nota : enregistrement original sur 78Tours par Columbia Records en 1929

 

Sélection 10 : Negro Songs fron the Mississippi State Penitentiary

"Penitentiary Blues"Tradition Records (TLP 1020) - 1958



23/08/2025
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