Le Cercle Modernist

Le Cercle Modernist

"Le Prisonnier : l'éthique Modernist"

 

 

 

 

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En mémoire de Thierry Steuve, "Our True Continental Face", grand connaisseur de l'oeuvre immortelle de Patrick McGoohan.

 

 

Cet article, consacré à la série télévisuelle Le Prisonnier, est une nouvelle et brillante contribution de Pascal "bOmbel" Rousse.

Un membre éminent du Cercle Modernist, qui nous a déjà gratifié d'excellents et foisonnants articles, dont la très remarquée étude du livre écrit par

LeRoi Jones "Blues People" (dans la rubrique Race Musique, partie Blues), grand classique de la littérature Afro-Américaine et Modernist.

Avec cette approche inédite, Bonbel nous donne, une nouvelle fois, une large mise en perspective directement liée à notre propre culture.

Retrouvons maintenant notre cher Patrick McGoohan, qui est incontestablement une véritable icône de la Mod Culture,

en s'arrêtant justement sur les multiples raisons, et fondements, expliquant cette grande passion Modernist

 

 

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- 'BonjOur Chez Vous" ("Be Seeing You") Patrick McGoohan dans Le Prisonnier (Source : CTV) _

 

 

 

Tout Modernist connaît la série télévisée Le Prisonnier.

Il y reconnaît des éléments essentiels de notre culture. Elle paraît pourtant à un moment ou certains (les professionnels des industries culturelles en plein essor) ont cru les Mods dépassés.

La première diffusion des 17 épisodes aura lieu en Grande-Bretagne du 29 septembre 1967 au 1er février 1968

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Nous allons essayer ici d'en donner une interprétation , en choisissant ses aspects éclairants par rapport à la culture Modernist.

Dans le même esprit, nous ouvrirons quelques pistes vers son contenu philosophique.

Si Le Prisonnier prend la forme d'un divertissement, c'est surtout une oeuvre audiovisuelle d'une indéniable dimension artistique, dont le but est de nous faire réfléchir.

 

 - Référence musicale 1 (en bas d'article) -

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 - Patrick McGoohan (Source : ITV )

 

En France, nous nous rappelons avoir découvert partiellement Le Prisonnier sur TF1 à la fin des années 1970, remplis d'étonnement, d'angoisse et de jubilation (la première diffusion de 13 épisodes passe en 1968).

Qu'il était bizarre ce joli Village, ou l'on détenait des espions, des ingénieurs et des savants pour en obtenir des renseignements ! On passait d'un ciel bleu de station balnéaire au cauchemar ultramoderne de l'immense bureau du numéro 2, l'administrateur des lieux.

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Il nous reste l'image onirique des tentatives d'évasions manquées du N6, stoppés par une sorte de protoplasme géant : le Rôdeur (The Rover). Mais aussi de la succession des numéros 2, échouant toujours à briser sa volonté. Ils apparaissent à chaque fois sûrs d'eux-mêmes, de leur savoir, de leur cynisme. Mais on les voit aussi rapidement soumis à des mystérieux supérieurs, qui contrôlent constamment leurs résultats, à distance.

La plupart des autres prisonniers ont déjà eu le cerceau lessivé, tellement ils correspondaient d'avance à la "science de l'homme" des maîtres. On devine peu à peu à quel point le Village prolonge le monde extérieur, que McLuhan nommera "le village global", ou le conformisme devient la force sociale prépondérante par le vecteur des médias de masse. Le numéro 6, lui, surprend toujours, aguerri à une intelligence pratique ouverte à l'imprévu , à la saisie du moment favorable, de la faille qui ne manque jamais de se présenter.

 

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     - Carte du Pays de Galles  (Source : CTV) -

 

 

Le prisonnier est essentiellement l'oeuvre d'un seul homme. Patrick McGoohan (1928-2009) lui imprima profondément une unité de styles et une richesse esthétique uniques. Il en conçoit l'idée et jouera le rôle principal. Il choisit lui-même le lieu central de l'action (qui restera secret jusqu'à la fin de la première diffusion) : Portmeirion, sur la côte cernée de montagnes de Snowdonia, dans le Gwynedd, au nord-ouest du Pays de Galles.

Il l'avait découvert en jouant le premier épisode de Danger Man (Destination Danger), "View from the Villa", en 1960, dont l'action se passe en Italie. Un autre épisode, localisé en Sicile, y aura recours : "Bury the Dead". Une bonne partie de ses collaborateurs viendra du tournage de cette série. Doué d'un flair exceptionnel pour l'originalité et la qualité des programmes, Lew Grade, le patron d'ITV à Birmingham, première chaîne indépendante de Grande-Bretagne, lui laisse carte blanche.

Son visage d'une détermination invincible, son regard toujours aux aguets, son allure intrépide, incarnent si parfaitement son personnage que Patrick McGoohan est pour tous Le Prisonnier. Ce sentiment est renforcé par la teneur autobiographique de l'avant-dernier épisode, "Once Upon a Time". Comme lui, par exemple, Le Prisonnier fut employé dans une banque pour ses aptitudes en mathématiques.

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Quelques déclarations viennent confirmer que le numéro 6 représente la pensée de Patrick McGoohan, sans pour autant se confondre avec lui. Car, il ne faut pas négliger une bonne dose d'exagération. Il y à une parodie de héros de ces temps de conflits idéologiques, pris dans un interminable jeu du chat et de la souris, dont James Bond demeure l'emblème.

Les rôles s'inversent parfois : dans le remarquable épisode "Hammer into Anvil", le numéro 2 sera pris au piège de son propre sadisme paranoïaque. La révolte du Prisonnier exprime bien celle de McGhooan, face à l'oppression technocratique. Mais elle est aussi manifestement outrée, parfois jusqu'au grotesque, surtout dans l'épisode final, "Fall Out". Cependant, le numéro 6 montre souvent une certaine vulnérabilité dans sa confiance envers les autres, Il se pourrait, pourtant, qu'il y puise en profondeur son acuité, sa capacité de résistance et de résilience.

Il nous faut donc connaître un peu mieux le créateur du Prisonnier, Patrick Joseph McGoohan est né le lundi matin 19 mars 1928 à New York, dans le quartier d'Astoria, au district de Queens. Le Prisonnier donnera exactement cette date de naissance pour la sienne, au premier épisode, "The Arrival". Ses parents, Thomas McGoohan et Rose Patricia, née Fitzpatrick, émigrés irlandais, étaient originaires du comté de Leitrim. Patrick était l'aîné, il eut quatre soeurs : Patricia, Kathleen, Marie et Annette. Les McGoohan étaient des paysans, venus chercher un peu d'aisance aux Etats-Unis.

 

 - Référence musicale 2 (en bas d'article) -

 

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 - Le Village à Portmeireion au Pays de Galles (Source : CTV )

 

La naissance inespérée de Patrick ne permettant plus à sa mère d'y travailler, ils décidèrent de rentrer en Irlande pour reprendre leur ferme. Il menèrent là une vie austère et heureuse, imprégnée de foi catholique. Sa mère aurait voulu que Patrick devint prêtre. Son père, illettré, est un joueur de fiddle (violon) renommé dans sa région. Mais la ferme ne suffisait plus à cette nombreuse famille, on émigra de nouveau, en Grande-Bretagne cette fois. En 1938 ils s'installèrent à Sheffield, Yorkshire, ou le bâtiment fournissait des emplois.

Voilà le substrat granitique du caractère de Patrick McGoohan : une enfance heureuse, pétrie de solides valeurs catholiques irlandaises traditionnelles, familiales et laborieuses, une certaine ouverture au monde et une sensibilité artistique caractéristique de ce peuple indépendant. En dépit de sa renommée, il se tiendra toujours à l'écart du monde indiscret du Show-Business. Installé près d'Hollywood, à Pacific Palissades, à partir des années 1970, il préservera farouchement son intimité. Sa famille passe avant tout : il dispense à ses filles une éducation soignée et laisse son épouse s'épanouir professionnellement.

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A côté de divers emplois, dont employé de banque et fermier, il eut une très brillante et précoce carrière théâtrale. En 1955, il rencontre Orson Wells, qui fut son maître, en jouant Starbuck dans sa pièce Moby Dick, d'aprés Herman Melville. En 1959, Lewis Grade assiste, à Londres, à la représentation de Brand, adapté d'Enrik Ibsen par Michael Meyer et mis en scène par Michael Elliot. Patrick McGoohan est éblouissant dans le premier rôle, celui d'un pasteur anticonformiste épris d'absolu. C'est ainsi qu'il est engagé pour Danger Man.

Tout cela explique bien les choses et surtout sa manière de remplir à la télévision les deux grands rôles de sa vie, John Drake et le numéro 6. Il tranchera avec d'autres figures célèbres d'agents spéciaux, comme James Bond par exemple, et avec d'autres modèles masculins, tels que Sean Connery, Roger Moore, Michael Caine ou Steve Mc Queen. Or, Patrick McGoohan se vit offrir en premier de jouer James Bond et refusa. Il trouvait le script médiocre, trop éloigné de l'esprit de Ian Flemming.

 

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 - Patrick McGoohan interprète "Danger Man" (Source : ITV) -

 

De même, méprise-t-il le personnage de Simon Templar, dans The Saint, qui lui fut aussi d'abord proposé : "a rogue, a rat"", dira-t-il. Il ne conçoit pas d'endosser le vaniteux cynisme de l'agent secret type. Il accepta, selon ses conditions, de jouer le personnage de John Drake, imaginé par Ralph Smart, n'hésitant pas à réécrire les scripts. Il réalisera lui-même trois épisodes : "Vacation", "To Our Best Friend" et "The Paper Chase".

John Drake ne porte jamais d'arme et ne tue jamais délibérément. Beaucoup d'épisodes (saison 2 de la série, et série 3) sont l'occasion de mettre en cause les procédés inhumains des services secrets. Il n'enbrasse aucune des piquantes créatures féminines qu'il ne manque pas de côtoyer. Mais il les traite d'égal à égal avec les égards du chevalier.

Tout en alerte souplesse, ironie et irrévérence, boxe et arts martiaux, avec une élégance et une culture continentale achevée. Smart : tel est John Drake et tel sera le numéro 6. Nous commençons à comprendre pourquoi il est devenu une grande icône Modernist.

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Malgré son succès considérable, Patrick Mc Goohan interrompra brusquement sa collaboration à Danger Man. 86 épisodes ont été réalisés et il s'ennuie profondément. Son nouveau projet est prêt depuis deux ans, sous la forme d'une description minutieuse de 40 pages. Le tournage du Prisonnier commence dès la fin de l'été 1966. On réalise d'abord le fameux générique, sur un thème musical de Ron Grainer. Puis on s'installe à Portmeirion, pendant un mois.

Ce site fut entièrement voulu et construit, entre 1925 et 1975, par l'architecte Sir Clough William-Ellis (1883-1978). Son éclectisme évoque l'Italie et l'Autriche-Hongrie, avant 1914. Méditerrannée et Europe Centrale : les deux poumons d'un monde disparu. Le décor se charge ainsi d'un sens énigmatique, voire "rétro-utopique". Ce pittoresque suranné, tout en demi-teintes, contraste avec la modernité des vêtements et des objets utilisés par les occupants du Village.

C'est le folklore criard de Carnaby Street transposé dans un lieu de villégiature aristocratique, métamorphosé en une sorte de "Dysneyland" ou "Club Med" carcéral. La fantasmagorie oppressante de la société de consommation et de loisirs nous saute aux yeux. 

 

 - Référence musicale 3 (en bas d'article) -

 

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 - Affiche du Prisonnier (Source : CTV) -

 

Disons tout de suite que l'esprit Modernist est bien porté ici par McGoohan. Il s'exprime par cette critique corrosive des "Swinging Sixties", condensée dans un ensemble de détails soigneusement choisis. Cela le différencie d'oeuvres contemporaines, qui s'en prennent à la même chose : Made in USA, de Jean-Luc Godard, Tonite, let's all make love in London, de Peter Whitehead, Privilege, de Peter Watkins, mais aussi L'homme unidimensionnel d'Herbert Marcuse ou La société du spectacle, de Guy Debord, McGoohan s'attaque au même ennemi : le viol des consciences par l'emprise technoscientifique et les industries culturelles.

Mais il se refuse à toute vision d'ensemble. Comme les Mods, justement, il se défie des cadres mentaux des classes dominantes., qui ont largement failli dans les épreuves du siècle. Un nouveau scepticisme politique nettement formulé par le narrateur d'Absolute Beginners, de Colin Macinnes. On sait que ce roman, publié en 1959, est un témoignage de première main sur les débuts souterrains des Modernist à Soho, Londres, qui en représente très bien le contexte social et existentiel.

S'exerce là un esprit de finesse critique, très différent des rébellions pulsionnelles adolescentes exploitées par le spectacle. Il se concentre sur le détail, en somme le style comme forme instituant la relation à soi-même et à autrui. Cela repose sur l'éthique personnelle, sur des qualités, autour de choses choisies d'aprés la vérité d'expérience de leur valeur d'usage.

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Le village est un lieu secret, ou sont séquestrées des personnes de diverses nations, disposant d'informations précieuses. Une mystérieuse organisation s'y emploie à leur extorquer ce savoir. On pense devoir à cette fin annihiler leur esprit. Chaque épisode détaille ainsi l'inventaire des moyens de la sujétion. Même ceux qui n'opposent guère de résistance sont malmenés. Parfois assassinés, on le voit dès le début dans "Arrival".

Le numéro 2, "manager" du Village, le fait visiter à notre héros qui vient d'arriver. Du haut d'un balcon, avec un mégaphone, le numéro 2 ordonne à la foule des badauds de s'immobiliser. Mais l'un d'entre eux ne tient pas en place. Soudain, une petite boule blanche s'agite au sommet du jet d'eau du bassin central. Parvenue à taille humaine en haut d'un édifice, elle fond sur le particulier affolé. Elle le tue en l'étouffant et s'en va. Tout le monde reprend tranquillement sa promenade. 

 

Le Prisonnier, atteré vient d'assister à une exécution publique et de découvrir le gardien du Village : le Rôdeur. La victime n'était coupable que d'une spontanéité résiduelle. On se demande même si son supplice était nécessaire à l'obéissance des autres. La plupart sont déjà conditionnés, ils ont vite accepté leur sort, comme ils acceptaient déjà l'injustice lorsqu'ils étaient "libres". Même les mauvais traitements sont, après tout, la routine du pouvoir et de la subordination.

 

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 - Le Rôdeur (Source : CTV) -

 

Quant au Prisonnier, cela excite bien plutôt son dégoût et son refus. Une telle mise à mort est l'un des moyens les plus archaïques de signifier l'autorité. C'est au Numéro 6 qu'elle s'adressait : " Vous qui rentrez ici, abandonnez toute espérance", comme il est écrit à la porte de l'enfer dans la Divine Comédie de Dante. On est encore très proche du sacrifice humain.

Mais les maîtres du Village utilisent aussi la science (parfois très anticipée) : Pavlov et la psychologie expérimentale dans le "The schizoidMan" ou "Checkmate", la psychanalyse dans "Once upon a Time", voire l'hypnose dans "Free for all", la cybernétique et l'endoctrinement subliminal informatisés dans "The General", la réalité augmentée dans "Living in Harmony", la manipulation des rêves dans "A,B & C", la neurochirurgie dans "Do not forsake me oh my Darling" ou dans "Change my Mind". Mais, dans celui-ci et d'autre épisodes, tels que "Dance of the Dead", "The Girl who was Death" ou "Fall Out", on emploie aussi des moyens de pression sociale, morale, affective et sophistiquée : l'exclusion, la honte, la fiction, la folie et l'absurde.

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Le générique et le premier épisode présentent le cadre allégorique de la série et de ses principaux éléments. Après un coup de tonnerre dans un ciel d'orage, apparaît une route en rase campagne. Le thème de Ron Grainer commence avec un son de fusée. Une automobile décapotée jaune et vert sombre surgit à l'horizon et se rapproche rapidement. C'est la fameuse Lotus TS 2 (sortie en 1961), immatriculée KAR 120C. Le Prisonnier déclare dans "Many Happy Returns" qu'il en connaît la moindre vis, car il l'a construite lui-même. Il connaît par coeur le numéro de série. Il pourra ainsi attester de son identité.

L'objet est donc caractéristique. Son inventeur, Anthony Bruce Colin Chapman, ingénieur britannique aurait voulu devenir pilote à la  R.A.F. Mais, il se convertit en constructeur de voitures de courses : la première Lotus voit le jour en 1947. Il commence a produire des modéles pour la route en 1952. La 7 paraît en 1957 et se distingue par la légèreté de son châssis tubulaire, sa simplicité et son élégance spartiates. Elle est conçue pour une clientèle exigeante et passionnée, dans les conditions d'un artisanat de haut niveau, mais d'un prix raisonnable. Elle a tous les traits qui tiennent à l'esprit Modernist et blasonne parfaitement le caractère du Prisonnier.

 

 - Référence musicale 4 (en bas d'article) -

 

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 - La  Lotus T2 du Prisonnier (Source : CTV ) -

 

On découvre son visage flegmatique, au volant du bolide. Il arrive à Londres à vive allure. Pénétrant dans un bureau souterrain, il vient jeter sa démission avec éclat. Il est vêtu exactement comme John Drake dans le dernier épisode de Danger Man réalisé par lui, "The Paper Chase" : costume ajusté, en laine gris foncé, polo noir à manches longues et bottines noires. Au début du premier épisode, il restera habillé de même. On verra sa fiche professionnelle classée par un robot dans un long couloir d'archivage gris.

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La référence architecturale à 1984 de Georges Orwell est évidente. Mc Goohan citera ce roman comme l'une de ses principales inspirations pour Le Prisonnier. D'autres détails le confirmeront. Dont les slogans, accrochés à la "bourse du travail" du Village, que l'on découvre au premier épisode. Par exemple :" Les questions sont un fardeau pour les autres. Les réponses , une prison pour soi-même". Ou d'omniprésents hauts-parleur et des écrans interface, qui rappellent d'ailleurs ceux de l'usine des Temps Modernes, de Chaplin, utilisés par le patron pour surveiller et donner ses ordres. Ce film date de 1936, le roman de 1949 ...

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Ensuite, il rentre chez lui préparer se bagages, est endormi par du gaz et se réveille. Il découvre alors le Village par la fenêtre à la réplique identique de son salon, celui d'un pafait Gentleman. Le Village est d'abord presque désert. La première présence humaine semble quelqu'un qui l'observe du clocher. Il y monte et s'y retrouve seul. Nous apercevons avec lui quelques endroits emblématiques, dont le bateau scellé et la plage. Puis, un café-restaurant ouvre, tandis que la cloche sonne 11 h. Il descend et n'y obtient que des réponses évasives.

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Sa tentative infructueuse de téléphoner à Londres le confronte au premier objet moderne du lieu : le téléphone sans-fil en plastique moulé. Puis, il se retrouve devant un plan d'orientation à touches. En appuyant sur l'une d'elles, il provoque l'arrivée d'une Mini-moke conduite par une jeune asiatique, vêtue d'un maillot de matelot rouge et blanc et coiffée d'une casquette blanche. C'est la première qui le saluera d'un "Bonjour chez vous !" sonore ( Be Seeing You !, plusieurs fois employé dans Danger Man). Elle s'arrête à l'épicerie-bazard, sans qui l'ait demandé. Il veut acheter une carte de la région, mais on ne vend que des plans du Village.

 

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 - Carte "officielle" du Village (Source : CTV) -

 

 Rentré au logis, il est convoqué par téléphone chez le numéro 2, au "dôme vert", sur une hauteur qui domine le site. Dans le vestibule désuet, il est accueilli pour la première fois par l'impeccable et silencieux maître d'hôtel nain, joué par Angelo Muscat. Il découvre alors l'antre du numéro 2, une salle sphérique de science-fiction, qui n'est pas sans évoquer les architectures visionnaires de Ledoux et de Boullée au XVIIIe siècle.

Le numéro 2 trône au centre dans un de ces sièges en forme de bulle, typique des années 60. Il sort du sol en tournant. Dans les films James Bond, ce genre de décor ultramoderne est associé au "méchant", par contraste avec le style conservateur du MI6. Au Village, ce design est associé au au pouvoir, et donc à la coercition. Quant elle ne nourrit plus l'espérance utopique, la modernité devient répressive. Réduite à l'efficience technoscientifique, elle entre en conflit avec l'émancipation de l'individu.

Conscients de cette contradiction, Mac Goohan comme les Modernist affirment que l'individu est la source de la valeur, par sa façon d'exister socialement. Ils l'expriment par des inventions, des découvertes et des choix qualitatifs autonomes, une sélection d'objets modernes, qui fédèrent une coalition de connaisseurs.

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Dans Le Prisonnier, tous les éléments important nous marquent, en caractérisant l'idée complexe de son monde. On peut en approcher la signification, mais leur sens gardent une part d'irréductible énigme. Le Rôdeur, par exemple, incorpore la répression implacable. Mais il est aussi cette boule blanche et molle, bondissante, générée par les flots et qui tue, comme une divinité persécutrice sans visage.

L'ordinateur est très présent. Il est "The General"et l'on s'avise combien son inventeur, le Professeur, et le numéro 2 en font une idole. Celle d'une nouvelle religion : la cybernétique. C'est la science du contrôle, inventée par Norbert Wiener en 1947. Refus de l'imprévisible, de l'incalculable et donc de l'événement. On peut y voir l'aboutissement de la quête du pouvoir absolu chez les maîtres d' Oceania, dans 1984. Le Prisonnier provoque la destruction du Général en  lui soumettant une question radicalement métaphysique, en un seul mot : "pourquoi ?".

 

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 - Le Prisonnier dans le Village (Source : CTV) -

 

Ainsi, le grand bi est l'emblème du Village. Dans "Arrival", on le découvre sur le badge de l'aubergiste, première personne abordée par Le Prisonnier (chacun porte un badge à l'exception ... du maître d'hôtel et du numéro ). Puis, sur la cabine téléphonique, le capot du taxi, la vitrine de l'épicerie-bazard. La salle du numéro 2 est ornée d'un modèle en acier grandeur nature. Un autre se trouve au passage de l'entrée de la place centrale.

Pourquoi cette image ? Lors de son apparition vers 1870, le grand bi fut une curiosité excentrique, mais aussi une étape dans l'évolution de la bicyclette. C'est l'allégorie du "progrès" technique, dans ce qu'il a de futile et d'irrésistible. Une marchandise idéale, à la fois utile, amusante, sportive et populaire. La bicyclette deviendra pour longtemps le véhicule privilégié des ouvriers et de la jeunesse.

Elle signifie même un certain affranchissement. Pour Alfred Jarry et son Surmâle, c'est le vecteur de la puissance pataphysique. Mais sa grande roue rappelle aussi l'invention de la roue. C'est donc le signe de l'évolution technologique, comme ce grand volant imaginé par Aragon, dans le Paysan de Paris (1926), qui menace de tout anéantir. Enfin, il présente avec ironie une mandala psychédélique.

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On remarque aussi un grand nombre d'inquiétantes formes arrondies au Village : la roue du grand bi, les badges en macaron, des ouvertures entre deux pièces, les lampes à pulsations hypnotiques, le Rôdeur, l'hélicoptère, la salle du numéro 2, mais aussi la salle de contrôle avec sa caméra-oeil et jusqu'à la fusée dans laquelle se tiendra le numéro 1 lors du dénouement (Fall Out). En effet, à l'ère de la conquête spatiale, la modernité développe des formes fermées de capsules. Elles envahissent le design des "Swinging Sixties.

Ce sont les formes régressives de l'aliénation et de la surveillance. Elle marque un pouvoir englobant et globalisant. On croît tout contrôler par un savoir instrumental, intrusif et torpide, qui méprise l'intimité de l'expérience. Le bureau du numéro 2, doté d'appareils, ou il voit et entend (presque) tout, évoque un grand oeil, dont son siège forme la pupille. Patrick Mc Goohan nous donne là une image forte du retour au panoptique de Bentham.

Ce philosophe britannique libéral (1748-1832) est l'inventeur de ce modèle de prison, rayonnant autour d'un centre d'ou il serait facile de surveiller les cellules. Il a aussi conçu un modèle de société, l'utilitarisme, régi par le calcul du plaisir et de la peine. Or, on peut dire que c'est exactement ainsi que fonctionne le Village. La technocratie utilisatrice du Village réduit l'être humain à ses fonctions biologiques.

 

 - Référence musicale 5 (en bas d'article) -

 

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 - Le journal du Village (Source : CTV) -

 

En revanche, le Grand Modernisme artistique est un humanisme. C'est une affirmation de l'esprit et de la dignité humaine. Il construit avec l'angle droit une forme ouverte à l'infini. L'un de ses maîtres, Mies Van Der Rohe disait "Dieu est dans les détails". Pour Le Corbusier, c'est "l'harmonie dans le détail" qui permet de maîtriser le chaos. Cette culture a une origine en Grande-Bretagne, chez le penseur socialiste William Morris, disciple de John Ruskin, et le mouvement Art &Crafts. Mentionnons aussi Brummell, qui a modernisé la toilette masculine sur la base d'une éthique du sérieux et de la constance.

C'est de cet esprit tranchant (Sharp) d'émancipation que participe la culture des Mods. Ils ont inventé une éthique du Style, fondée sur l'attention au détail. Or, c'est la vigilance au détail qui fait la véritable force de John Drake, comme du Prisonnier, et le sauve souvent in extremis, tout particulièrement dans "The Chimes of Big Ben", "The Schizoid Man" ou "Many Happy Returns".

 

Là encore, il est clair que le Prisonnier et les Modernist sont du même côté. Il s'agit de ne pas se laisser dicter un devoir-être fondé sur le mépris de l'humain au profit des choses et de leur valeur d'échange. Il faut se soustraire à la fausse sagesse de l'establishment, gardien des conventions "du bon vieux temps", tout autant qu'au drainage des énergies pulsionnelles dans le consumérisme.

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Mais aussi ne jamais céder à la haine de l'autre, manipulée par les politiciens, contrairement aux Teddy-Boys qui participèrent aux émeutes racistes contre les Antillais de Nothing Hill, orchestré par le fasciste Oswald Mosley, en 1959. Le véritable milieu humain vivant et créateur tient toujours à la valeur d'usage, dont la qualité du détail est la clé. Ce qui explique aussi une conception commune de l'individu : un sujet unique qui décide et agit selon sa conscience, non un atome isolé et calculable et calculateur soumis à la généralité.

Un tic l'exprime, que Le Prisonnier partage avec John Drake : ses claquements de doigts rythmiques. C'est l'indice de la permanente union chez lui entre l'agir et le réflexion. Son corps et sont esprit son toujours en mouvement de concert et ça donne le vertige au numéro 2. "Le simple fait d'enfiler sa robe de chambre devient avec lui un geste de défi à notre égard !" s'exclame celui de "The Chimes of Big Ben". Danser sur du Rhythm & Blues, dans un costume en mohair sur-mesure de coupe italienne parfaitement ajusté aussi, quand on est un jeune prolétaire britannique, autour de 1960.

Le Prisonnier n'est pas un individualiste, encore moins un égoïste. Pourtant, c'est ce dont on l'accuse au Village. Mais, gardons-nous de croire à la prétention de ses membres les plus zélés de former une véritable société. C'est peut-être là que réside la pointe la plus critique de l'oeuvre de McGoohan. Ce serait un contresens d'y voir une opposition entre individu et société. Le Prisonnier se bat contre les dérives totalitaires, qui découlent précisément de cette séparation. Sil déclare ne croire qu'en lui-même, il faut se souvenir que c'est dans le contexte du Village. Si c'est une image du monde contemporain, c'est du moins celle d'une fausse société, non de la fausseté de toute société.

 

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 - Patrick McGoohan est The Prisoner (Source : CTV  )

 

Les décors du Village distillent à merveille l'ambiguïté indécidable entre diverses formes possibles de totalitarisme, y compris capitaliste. Le Village a tout de la société du loisir et de l'image que l'on s'en fait sur les prospectus ; il fait toujours beau, on circule, on consomme, on sourit avec suffisance et l'ont ne doit pas se poser de questions; La société de loisir est l'accomplissement de la société de consommation. Laquelle y devient l'activité centrale et surtout obligatoire, sous peine d'exclusion. " Qu'est-ce qui, en réalité, à été créé ici" Une communauté internationale. Un modèle parfait d'ordre du monde.

Quand les deux camps qui se font face réaliseront qu'ils se regardent dans un miroir, ils verront alors que c'est un projet d'avenir". Et c'est le numéro 2 le plus philosophe qui le dit, dans "The Chimes Of Big Ben". Cela nous renvoie à Guy Debord, qui ne voyait dans la rivalité des deux blocs de la Guerre Froide que la forme la plus accomplie du "spectaculaire intégrée". On pourrait même voir dans la pratique de la "dérive situationniste", à la suite de Rimbaud, une quête similaire à celle du Prisonnier et des Modernist : trouver l'issue de la vraie vie.

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Tous les actes du numéro 6 montre son altruisme. Il se heurte au pouvoir qui isole et produit la défiance, voire la haine. C'est évident dans "The Schizoid Man"ou l'on voit combien la concurrence conduit à nier l'irremplaçable singularité de chacun. Les maîtres du Village hiérarchisent leurs prisonniers selon le profit qu'ils peuvent en tirer. Certains seront vite mis au rebut, tandis que le numéro 6 est relativement préservé en vertu de son importance, signifiée par son numéro.

Mais lui s'en moque et s'intéresse à tous, dont il attend inlassablement de désirer la liberté. De même, dans 1984, Winston Smith espère le réveil des "proles". Malgré le risque de la trahison, Le Prisonnier est toujours prêt à s'associer à d'autres ; ainsi, dans "The General" ou "Checkmate". Comme chez Max Stirner, auteur de l'unique et sa propriété (1844), il se fie à l'association par affinité et ce qu'il appelle l'humaine intuition, de personne à personne. C'est à dire l'amitié. Mais, il est tout autant prêt à se dévouer à l'intérêt général.

 

 - Référence musicale 6 (en bas d'article) -

 

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 - Le Prisonnier  (Source : CTV) -

 

La révolte du Prisonnier n'est pas une fin en soi. Elle est rendue nécessaire parce que la situation met en péril. Non pas un humanisme abstrait, mais des valeurs proprement humaines, dont Patrick Mc Goohan est pétri : un solide catholicisme celtique porté vers la vérité, l'entraide, la solidarité, le don de soi, contre l'individualisme bourgeois et l'avidité. Le bien pour autrui, non la bigoterie. C'est à dire, au fond, un amour radical de la vie. Ainsi, dans l'épisode "It's Your Funeral", va-t-il déjouer un attentat contre le numéro 2 pour éviter les représailles envers les autres prisonniers.

Le dernier épisode, "Fall Out" le confirme. Il marque bien la différence entre l'éthique Modernist du Prisonnier et l'individualisme rationaliste. Le Prisonnier, dans un duel ultime avec le numéro 2, obtient de voir enfin le numéro 1, avant de quitter le Village. Il va cependant subir encore quelques épreuves initiatiques. Dans une antichambre, on lui rend sa tenue personnelle. On passe par un couloir souterrain, bordé  ... de juke-boxes, jouant All You Need Is Love des Beatles.

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Le dévoilement du lien entre les Swinging Sixties et les industries culturelles est ici d'une ironie très Pop. La falsification de la culture Modernist est clairement démasquée. Nous débouchons dans une vaste grotte souterraine qui abrite un ordinateur géant et une sorte d'assemblée. Cet aréopage est composé de personnages vêtus d'une coule blanche et masqué en noir et blanc. Partout, des soldats attifés à l'américaine. De sa chaire, un magistrat perruqué mène l'échange verbal avec Le Prisonnier placé sur un trône. Il y aurait à juger, au nom de la "communauté démocratique", de son mérite au statut d'individu, en cherchant à le dissocier de toute autre forme de révolte, qualifiant la sienne de "guerre privée".

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Or, c'est l'occasion pour Patrick McGoohan d'en présenter deux figures majeures. Que Le Prisonnier s'y allie pour détruire le Village et s'évader enfin est assez éloquent. Ce sont le dernier numéro 2 (celui de "The Chimes Of Big Ben" et de "Once Upon a Time", joué par Leo McKern) et un Beatnik (joué par Alexis Kanner), dont la tenue rappelle les Ministrels du XIXème siècle aux Etats-Unis.

 

Un membre lucide de l'élite qui trahit sa classe et "une jeunesse incohérente se rebellant contre rien qu'elle puisse définir", comme dit le magistrat. Un son étrange se mêle à la discussion. Cela provient d'une tour équipée d'un oeil-caméra et marquée du numéro 1 qui continue de manipuler la situation. Avec l'aide de ses nouveaux acolytes .... dont le maître d'hôtel nain, Le Prisonnier va forcer l'accès à la tour ou se cache le numéro 1. Il se trouve face à un personnage vêtu et masqué comme ceux de l'aréopage, très occupé à un tableau de bord. Le Prisonnier le démasque et, après lui avoir arraché un autre masque, de singe, se retrouve face à son propre double grimaçant et ricanant.

Ce dénouement fut un scandale pour la plupart des fans. C'était les mettre face à eux mêmes, au lieu du super-méchant attendu dans le genre des autres films d'espionnage. Le Prisonnier contient une charge contre le James Bond des films à succès, avec son schéma de l'ennemi infâme, personnification de "l'axe du mal" contre lequel, dès lors, tout est permis et louable, y compris les travers personnels du héros : brutalité, machisme, fausse élégance de consommateur doté d'un compte en banque à la mesure de ses "bons et loyaux services". L'écrasement impitoyable de l'affreux et de ses sbires est l'acmé cathartique attendu par le spectateur qui, communie en toute bonne conscience dans ce débordement de violence destructrice, parodiée jusqu'au burlesque dans "Fall Out".

 

 - Référence musicale 7 (en bas d'article) -

 

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 - "Le jeux d'échecs" du Village dans Le Prisonnier  (Source : CTV ) -

 

 

On ne sait si Patrick McGoohan l'avait lu, mais il est impossible de ne pas penser au Discours de la servitude volontaire ou le contr'un d'Etienne de la Boétie (écrit vers 1548-1553). En effet, celui-ci fait aussi la description de la tyrannie et des moyens bien réels dont elle dispose. Le plus important étant cette classe intermédiaire, qui renonce à la liberté pour participer au pouvoir en s'en rapprochant ...

Ce sont évidemment ici tous les sbires du mystérieux N1. Mais, ce renoncement en fait des marionnettes, que le Beatnik rappelle à la vraie vie en chantant Dry Bones (version des Four Lads en 1961), fameux gospel d'après Ezechiel, 37, 1-14. L'accent apocalyptique ne manque donc pas à cette scène de catacombes. Car, l'invocation s'adresse tout autant aux opprimés, appelés à se relever d'une existence mutilée.

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Ce retournement du message religieux, qui en dévoile la vérité profonde, est bien dans le style des Ministrels noirs, qui vont subir des clichés racistes des inventeurs blancs de ce style de spectacle. Il en dévoilent ainsi par une ironie subtile la vérité : l'admiration jalouse et apeurée des blancs pour les forces vitales de leur anciens esclaves. La résurrection et le soulèvement font symbole.

 •

Or, selon La Boétie, nous naissons  tous libres, et par là, égaux. Nos différences sont faites pour nous porter mutuellement secours dans l'amitié. McGoohan ne dira pas autre chose. Mais la liberté suppose une indétermination dans la diversité des possibles, qui fait peur. De là, le désir de l'Un, du N1, fantasme rassurant qui ne manque pas de s'incorporer.

 

 - Référence musicale 8 (en bas d'article) -

 

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- La fameuse scène finale du Prisonnier (Source : CTV ) - 

 

 

 Le N6 n'est pas exempt de cette faiblesse, quand il demande obsessionnellement "Qui est le numéro 1 ?" ; "Number 6 : Who is number 1 ? - Number 2 : You are Number 6" ... La Boétie interroge : "A-t-il povoir sur vous, que par vous même ? Comment oserait-il vous courir sus, s'il n'était d'intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n'étiez receleur du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres de vous-mêmes ?". Ignorer cette question ultime, ce serait avoir lutté pour rien. Ce combat est interminable. C'est sans doute le sens du dernier plan de "Fall Out" : le maître du logis au Village.

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Comme chez Strirner encore, Le Prisonnier ne défend bec et ongle que sa seule véritable possession : lui-même. C'est aussi pourquoi il se bat pour les autres. Tout dans la série montre qu'il résiste avec acharnement à l'aliénation parce qu'il défend aussi la possibilité pour autrui de résister et vivre libre, en demeurant soi-même. "Je m'évaderai, je reviendrai et j'éliminerai ce Village de la face du monde ! Et vous avec !", dit-il au N2 dès le deuxième épisode. Cette possession de soi-même, c'est ce que réalisent les Modernist dans l'invention d'une forme de vie exigeante, centrée sur un certain terrain musical instruit par le Blues.


Cet esprit est celui des esclaves Afro-Américains affranchis qui eurent à découvrir toutes les chaînes intérieures qui leur avaient été laissées. Ils firent l'expérience d'une liberté formelle, en laquelle ils eurent dès lors à se libérer par eux-mêmes.

Les jeunes Britanniques Londoniens des classes laborieuses, d'origines diverses, Juifs, Anglais, Italiens, Jamaïcains, Irlandais; etc., nés à la fin de la guerre, firent une expérience analogue et s'y reconnurent, en fraternité avec les Afro-Américains.

Voilà l'origine de cette culture Modernist, qui se manifeste dans le Cool : une allure inimitable de l'extérieur et pourtant reconnaissable, mais insaisissable et intraitable.

 

Le Livre d'Ezechiel

 

Chapitre 37

 

 

1 / La main de Yahweh fut sur moi, et Yahweh me fit sortir en esprit et me plaça au milieu de la plaine, et elle était couverte d'ossements.

2 / Il me fit passer prés d'eux, tout atour ; ils étaient en très grand nombre sur la face de la plaine, et voici qu'ils étaient tout à fait desséchés.

3 / Et il me dit :"Fils de l'homme, ces ossements revivront-ils ?" Je ré-pondis :"Seigneur Yaheweh, vous le savez".

4 / Il me dit :"Prophétise sur ces osse-ments et dis leur : Ossements desséchés, entendez la parole de Yahweh !"

5 / Ainsi parle le Seigneur Yahweh à ces osse-ments : Voici ce que je vais faire entrer en vous l'esprit, et vous vivrez.

6 / Je mettrai sur vous des muscles, je ferai croître sur vous de la chair et j'étendrai sur vous de la peau ; je mettrai en vous l'esprit, et vous vivrez ; et vous saurez que je suis Yahweh".

7 / Je prophétisai comme j'en avais reçu l'ordre. Et comme je prophétisais, il y eut un son ; puis voici un briut reten-tissant, et les os se rapprochèrent les uns des autres.

8 / Et je vis ; et voici que des muscles et de la chair avaient crû au-dessus, et qu'une peau s'était étendue au-dessus d'eux ; mais il n'y avait point d'esprit en eux.

9 /Et il le dit ; "Prophétise à l'esprit, prophétise, fils de l'homme, et dis à l'es-prit ; Ainsi parle le Seigneur Yahweh : Viens des quatre vents, esprit, et souffle sur ses hommes tués, et qu'ils vivent.µ

10 / Et je prophétisai comme il me l'avait ordonné, et l'esprit entra en eux, et ils prirent vie, et ils se tinrent sur leurs pieds : Grande, très grande armée ! Et il me dit : "Fils de l'homme, ces ossements c'est toute la maison d'Israël.

11 / Voici qu'ils disent : Nos os sont desséchés, notre espérance est morte, nous sommes perdus !

12 / C'est pourquoi prophétise et dis leur : Ainsi parle le Seigneur de Yahweh : Voici que je vais ouvrir vos tom-beaux, et je vous ferai remonter hors de vos tombeaux, ô mon peuple, et je vous raménerai sur la terre d'Israël.

13 /Et vous saurez que je suis Yahweh quand j'ou-vrirai vos tombeaux et que je vous remonter hors de vos tombeaux, ô mon peuple.

14 / Je mettrai mon Esprit en vous, et vous vivrez ; et je vous don-nerai du repos sur votre sol, et vous saurez que moi, Yahweh, je dis et j'exécute, --oracle de Yahweh.

15 / La parole de Yahweh me fut adressée en ces termes :

Et toi, fils de l'homme, prends un bois et écrit dessus :"A Judas et aux enfant d'Israël qui lui sont unis".

16 / Prends un autre bois

et écrit dessus : "A Jo-seph" ; ce sera le bois d'Ephraïm et de toute la maison d'Israêl qui lui est unie.

17 / Rapproche-les l'un de l'autre   pour n'avoir qu'un seul bois, et qu'il soient un dans ta main.

18 / Et quand les fils de ton peuple te parleront en ces termes : "Nous nous expliquera-tu pas ce que signifie pour toi ces choses ?". dis leur : Ainsi parle le Seigneur Yahweh :

19 / Voici que je pren-drai le bois de Joseph, qui est dans la main d'Ephraïm, et les tribus d'Ephraïm qui lui sont unies et je joindrai au bois de Judas, et j'en ferai un seul bois, et ils seront un dans ma main.

20 / Les bois sur lesquels tu écriras seront dans ta main, à leur yeux. Et dis leur : Ainsi parle le Seigneur Yahweh : Voici que je vais prendre les enfants d'Israël du milieu des nations ou ils sont allés ;

21 / je les rassemblerai de toutes parts et je les ramènerai sur leur sol. Je ferai d'eux une seule nation dans le pays, sur les montagnes d'Israël : un seul

22 / roi ré-gnera sur eux tous ; Et ils ne se seront plus deux nations, et ils ne seront plus séparés en deux royaumes.

23 / Ils ne souilleront plus leurs infâmes idoles, par leurs abominations et tous leurs crimes ; je les sauverai de toutes leurs rébellions par lesquelles ils ont péché, je les purifierai ; et ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu. Mon serviteur David sera leur roi, et il y aura un seul pasteur pour eux tous ;

24 / Ils suivront mes ordonnances, ils observeront mes commandements et le mettront en pratique. Et ils habiteront dans le pays que j'ai donné à mon ser-viteur Jacob et dans lequel ont habité leurs pères ; ils y habiteront, eux et leurs enfants,

25 / et les enfants de leurs enfants, à jamais ; et David, mon serviteur, sera leur prince pour toujours.

26 / Et je conclurai avec eux une alliance de paix ; ce sera une alliance éternelle avec eux ; et je les éta-blirai et je les multiplierai ; et j'érigerai mon sanctuaire au milieu d'eux pour toujours.

27 / Mon habitation sera au dessus d'eaux ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.

28 / Et les nations sauront que je suis Yahweh  qui sanctifie Israël, quand mon sanctuaire sera au milieu d'eux pour toujours.

 

 

Article de Pascal "Bonbel" Rousse, avec nos remerciements à Laurent Grux pour sa lecture et ses suggestions. Retranscription Alexandre Saillide-Ulysse.

 

75 M.N.S ® !

 


 

 

Sources bibliographiques:

 

 - Etienne de La Boétie "Le discours de la servitude volontaire", Paris, Payot & Rivages, 2002

- Alain Carrazé, Hélène Oswald "Le Prisonnier, chef-d'oeuvre télévisionnaire", Paris, 8e Art, 1989

- Roger Langley "Patrick McGoohan, Danger Man or Prisoner ?", Sheffield, Tomahawk Press, 2007

- Colin McInnes "Absolute Beginners", Londres, Allison and Busby, 2011

- Nicolas Pevsner "Pionners of Modern Design, from William Morris to Walter Gropius" Londres, Penguin Books, 1991.

  

Références musicales :

 

- Sélection 1 : T.V Theme Danger Man by Edwin Astley Orchestra "Danger Man" RCA Victor Records (1492) - 1965

- Sélection 2 : Jamo Thomas & his Party Brothers Orchestra "I Spy for the F.B.I" - THOMAS Records (303) - 1966

- Sélection 3 : The Prisoner "intro T.V Series" (Musique de Ron Grainer) - CTV

- Sélection 4 : The Prisoner "Coming Back" (Ouverture de la série avec la Lotus7).

- Sélection 5 : Prince Buster "Judge Dread (Judge for Hundred Years)" - BLUE BEAT Records (BB387) - 1967

- Sélection 6 : The Four Lads with The Swinging Nine Minus Two "Dry Bones" - KAPP Records (1254) - 1967

- Sélection 7 : Huddie Leadbelly Leadbetter "Pick a Bale of Coton" - Enregistrement (1933) Bibliothèque du Congrès USA.

- Sélection 8 : The Prisoner "Ending" (Fin série Le Prisonnier) -  (1968CTV



19/09/2017
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