Willie Dixon (1915-1992) Chicago Blues'Master
- Autographe de Willie Dixon sur photo circa 1948 (Source : JFB) -
Cette rubrique "Race Music" du Cercle Modernist dédiée au Blues Afro-Américain a déjà abordé la carrière et l'oeuvre de nombreux Bluesmen de tout premier ordre, comme par exemple avec Slim Harpo ou Sonny Boy Williamson II. De la même manière, le sujet de cet article porte également sur un Bluesmen légendaire ; en l'occurrence Willie Dixon l'authentique ambassadeur du mythique Chicago Blues.
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Comme je le souligne régulièrement, la culture et la musique Afro-Américaine sont incontestablement des éléments fondateurs et essentiels pour tout Modernist. Une mouvance Afro-Américaine qui a constamment renouvelé et métamorphosé le champs culturel contemporain, tout comme l'oeuvre de Willie Dixon.
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Willie Dixon est très certainement un des plus influents musiciens issu du très fameux Chicago Blues, composante électrique et urbaine du Blues Afro-Américain. Un type spécifique de Blues qui va largement inspirer, puis ouvrir de nouvelles voies au sein de l'ensemble du monde musical.
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Ce génial et prolifique musicien est un des artistes les plus respectés au sein du Panthéon des Bluesmen Afro-Américains par la culture Modernist. Les principales oeuvres musicales de Willie Dixon sont toujours écoutées avec passion par notre scène Modernist, et son influence sur la musique durant la seconde moitié du XXème siècle laisse une puissante et indélébile empreinte.
- Carte postale de la ville de Vicksburg circa 1950's (Source : CNP) -
"I Am The Blues" Willie Dixon (1915/1922)
De son vrai nom William James Dixon, Willie Dixon est né dans la petite ville de Vicksburg, située dans le conté de Warren dans l'Etat du Mississippi aux Etats-Unis. C'est plus exactement le 1er juillet 1915, au coeur de l'été, que Willie Dixon voit le jour dans une grande famille comptant pas moins de quatorze enfants.
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Vicksburg est une ville du Mississippi totalement imprégnée par l'histoire de la jeune nation américaine. La ville va être effectivement un important lieu d'affrontement politique et militaire durant la terrible guerre civile qui va secouer les tout jeunes Etats-Unis, la Guerre de Sécession (1861-1865). Plus tard, la ville de Vicksburg va également avoir un rôle de tout premier ordre pour la lutte des Droits Civiques en faveur des minorités aux Etats-Unis durant les Années 1950/60. L'histoire de cette ville illustre parfaitement l'exode des populations pauvres, le plus souvent des Afro-Américains, en quête d'un meilleur avenir.
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Willie Dixon va passer une enfance heureuse et insouciante entouré de sa nombreuse fratrie, et de ses amis issus des nombreuses communautés et minorités vivant dans la ville de Vicksburg. Dés son plus jeune âge le tout jeune garçon est initié à la musique, il chante la toute première fois à l'âge de 4 ans dans une église Baptiste. Il est très vite considéré comme un jeune virtuose par son entourage. Un peu plus tard, à l'âge de 7 ans, il joue pour le pianiste Little Brother Montgomery. Ce précoce apprentissage musical, accompagné de nombreuses prestations scéniques, va indéniablement bonifier très tôt le style de Willie Dixon.
Malheureusement un terrible événement va venir bouleverser la quiétude des premières années d'existence de Willie Dixon. Le jeune garçon va être le témoin du lynchage d'un jeune homme noir par des membres encagoulés du KuKluxKlan, l'insupportable groupuscule raciste était particulièrement actif dans le Mississippi. Cette scène insupportable qui va terriblement le choquer et lui faire prendre conscience malgré son jeune âge de la dureté de son environnement.
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A partir de ce moment, la vie du jeune Willie Dixon va prendre un nouveau tournant. Willie Dixon va effectivement commencer une vie d'errance (une véritable vie de "hoboes") en parcourant le Deep South, et même plus loin encore. Il saute frauduleusement dans les trains pour voyager gratuitement, tout en commettant de petits larcins pour survivre. Il est arrêté une toute première fois à l'âge de 12 ans pour vol, le jeune garçon est enfermé en prison, une ferme pénitentiaire.
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Notons que c'est une existence similaire à celle de beaucoup des jeunes Afro-Américains, comme nous le racontent souvent les témoignages d'innombrables Bluesmen. La plupart des articles de cette rubrique "Race Music / Blues" du Cercle Modernist insiste sur l'importance de cette période d'errance et de migration pour le Blues Afro-Américain. C'est justement par le biais de ce phénomène que le Blues Urbain et électrique va justement émerger et s'installer dans la Windy City.
- Référence musicale 1 (en bas d'article) -
- Jeunes gens à Chicago circa 1949 (Source : VC) -
Comme il le raconte parfaitement dans ses mémoires, c'est durant ce tout premier séjour en prison que le jeune Willie Dixon découvre la musique Blues " C’est là que j’ai su ce que c’était que le bues. Je l’ai entendu à travers la musique et j’ai d’abord pris ça pour quelque chose de joyeux, mais après avoir entendu ces gars qui se plaignaient et gémissaient ce blues ‘des entrailles de la terre’, j’ai commencé à m’y intéresser. Je leur ai demandé pourquoi ils chantaient ces chansons et ce que ça signifiait. Certains d’entre eux m’ont parlé. Ils étaient en prison pour différentes raisons, ‘victimes des circonstances’ et si, à cette époque, je ne connaissais pas cette expression, j’étais moi-même la victime des circonstances. J’ai vraiment réalisé ce que le blues signifiait pour les Noirs, ça leur apportait une consolation, leur permettait de réfléchir en fredonnant ou de faire savoir aux autres ce qu’ils avaient en tête et comment ils ressentaient les choses de la vie. Je pense que ça a déteint sur moi. Quand vous avez vu des gars mourir et que, malgré tout, vous gardez l’espoir…"
- Vue panoramique de la ville de Chicago, début des années 1950 (Source : CNM) -
Cette toute première incarcération est vite suivie par un autre emprisonnement pour vagabondage dans une autre ferme prison à côté de Vicksburg. Willie Dixon réussit, avec beaucoup de ruse, très rapidement à s'échapper de cet établissement correctionnel. Il se rend alors chez une de ses soeurs demeurant à Chicago. Malgré les énormes difficultés, la ville est frappé par la Grande Crise, le tout jeune homme réussit à trouver des emplois divers pour survivre et il commence à aller à l'école. C'est d'ailleurs malheureusement par le biais ce cette dernière que Wille Dixon va être rattrapé par les autorités une année plus tard .
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Willie Dixon est alors un adolescent à peine âgé de 16 ans. Malgré cette jeunesse, il est déjà pourvu d'un grand charisme et d'une forte personnalité. Tout en étant incontestablement pourvu d'un don pour la musique, il développe de nombreuses autres passions comme le sport. De plus grâce à sa continuelle envie de savoir, et sa brève mais bénéfique scolarité, il évolue confortablement dans tous les environnements en faisant preuve d'une grande adaptabilité.
Après cette dernière mauvaise expérience, Willie Dixon décide de revenir dans sa ville natale de Vicksburg ; le jeune homme ne sait pas encore qu'il vient de prendre une décision capitale qui va littéralement transformer son existence. Il réussit a trouver un emploi de charpentier chez un dénommé Theo Phelps. Tout en travaillant avec assiduité, Willie Dixon écrit des chansons qu'il va parfois vendre a des orchestres de musique Country. Il semble même qu'une de ses compositions est été enregistrée à son insu par une formation de Country & Western ! C'est la rencontre avec monsieur Theo Phelps qui va pousser Willie Dixon a s'investir dans la musique.
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Tout en étant son employeur, Theo Phelps est aussi le leader d'une formation de Gospel, un quintette vocal appelé The Union Jubilee Singers. Theo Phelps est un leader très charismatique et exigeant avec les membres de sa formation. Nous sommes durant la grande période des petites formations vocales de Gospel et la concurrence est très rude entre les différents groupes avec les très nombreuses églises présentes dans l'Etat et le conté. C'est donc avec Theo Phelps que Willie Dixon perfectionne sa voix en ténor et baryton, même si la plupart du temps il chante avec une voix plus basse mais déjà bien puissante et caractéristique.
- Référence musicale 2 (en bas d'article) -
- Willie Dixon avec le Big Three Trio en 1948 (Source : CR) -
Willie Dixon va donc faire son apprentissage avec Theo Phelps, et c'est d'ailleurs avec son groupe qu'il fait ses premières émissions de radio et ses premiers grands concerts en public. Par la suite, après une expérience malheureuse à la Nouvelle Orléans, dont un emploi de cuisinier à bord d'un wagon restaurant, Willie Dixon quitte les rives du Mississippi et décide de revenir chez sa soeur à Chicago en 1936. Dès son arrivée dans la Windy City Willie Dixon trouve rapidement du travail au sein de l'effervescente et prolifique scène musicale de la communauté Afro-Américaine.
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Le jeune Willie Dixon est aussi un grand passionné de sport qui pratique avec assiduité la Boxe Anglaise. Grâce à ses impressionnantes aptitudes sportives, et son incroyable physique d'Apollon Noir, Willie Dixon est presque aussi doué dans ce sport que dans la musique !!! Le jeune homme très bien entouré va donc s’investir avec sérieux dans la boxe. Willie Dixon notamment s'entraîner régulièrement avec le légendaire et puissant Joe Louis. Après une longue et épuisante préparation il va s'engager dans les combats et très vite révéler son talent de "puncher" en gagnant les championnats dans la catégorie poids lourds en 1937.
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Le plus étonnant, c'est que le sport et la musique vont lui permettre de faire une rencontre très importante pour le reste de sa jeune carrière. C'est effectivement dans le club sportif où il s’entraîne qu'il va croiser le Bluesmen Afro-Américain Leonard "Baby Doo" Caston (1917-1987). En fait, c’est précisément Leonard "Baby Doo" Caston qui va pousser le jeune Willie Dixon a abandonner la boxe Anglaise pour s'investir totalement dans une carrière musicale. C'est même Leonard Caston qui va lui mettre entre les mains son premier instrument, une contrebassine. Cela va être le début d'une longue et belle amitié entre les deux artistes. Willie Dixon et Leonard Caston vont ainsi faire un long bout de chemin ensemble, en commençant par jouer dans les rues et dans les clubs à Chicago.
En 1939, Dixon et Caston se joignent à Willie Hawthorne, Eugene Gilmore et Freddie Walker (surnommé Cool Breeze), pour fonder The Five Breezes. Durant ces années, les groupes vocaux aux harmonies recherchées sont dans l’air du temps. Les formations vocales comme les Ink Spots ou les Cats & Fiddles sont très populaires. La formation des Five Breezes joue des styles différents pour multiplier les possibilités de contrats. De cette façon, le groupe peut jouer à midi dans une église en chantant des Spirituals et, le soir, chanter le Blues dans un club tenu par des gangsters,avec de l'alcool et des danseuses dénudées.
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Mais, en 1941 l’armée adresse à Willie Dixon de nombreuses convocations des autorités militaires auxquelles le jeune homme ne répond pas. De ce fait, la police militaire le met en prison après une spectaculaire arrestation lors d'un concert des Five Breezes au Pink Poodle Club. Willie Dixon est un véritable pacifiste et un objecteur de conscience qui refuse catégoriquement l’incorporation. Il est donc jugé et condamné à dix mois d’emprisonnement d’un régime sévère par les autorités militaires des Etats-Unis.
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Pour la petite histoire, Leonard Caston est incorporé dans un régiment du matériel à New York. Là commence pour le musicien une nouvelle vie de véritables aventures : il se retrouve d'abord sur un bateau qui le mène en Chine, puis en Birmanie, en Inde ; pour finir en Egypte, et au Maroc. Par la suite il va aller en Europe : la France, Paris, Reims et l’Allemagne enfin. Surtout, durant le temps libre que lui laisse son service militaire, Leonard Caston joue dans un trio baptisé The Rhythm Rascals. Après sa démobilisation en 1946, il retrouve Willie Dixon et rencontre le guitariste Bernardo Dennis. Ensemble les trois musiciens formant le groupe The Big Three Trio, ainsi nommé en référence au trio des vainqueurs, Roosevelt, Staline et Churchill !
- Référence musicale 3 (en bas d'article) -
- Chicago, fin des années 1950 (Source : Wayne Miller©) -
Avec le début des années 1950, une grande transformation et métamorphose musicale s'opère car vieux Blues rural popularisé avant guerre par les 78 tours vendus à Chicago n’a plus les faveurs du public. Ce sont désormais les grandes sections rythmiques de cuivres venues de la Côte Ouest qui font fureur avec le Jump Blues et ses incroyables vedettes : Louis Jordan, T-Bone Walker, Charles Brown, Roy Milton, Wynonie Harris, Amos Milburn.
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The Big Three Trio est entre ses différents styles, il joue par exemple souvent a jouer chez le Bluesmen Tampa Red, avec les musiciens du label Blue Bird, et le producteur Lester Melrose. Le groupe est engagé par le label, de ce fait ils introduisent un peu de Blues dans leur registre. Le producteur Lester Melrose enregistre le big three trio et vend les chansons à Bullet Records, un petit label indépendant de Nashville. ‘Lonely Roamin’’ rencontre un succès régional dans le sud, tandis ‘Signifying Monkey’ est une des meilleures ventes des ‘Race Records’au niveau national en 1946 ! En 1947, le trio signe avec Columbia Records.
Willie Dixon multiplie ses activités, il écrit pour les autres, il est notamment l’auteur des premiers titres enregistrés par Memphis Slim à Chicago en 1947 : ‘Rockin’ The House’, ‘Darlin’ I Miss you’, ‘Kilroy Was Here’ ‘Lend Me You Lovin’. Car, à la fin des années 1940, une nouvelle génération de musiciens pointe son nez dans les clubs du South-Side de Chicago. Ils amènent un sang neuf au Blues en jouant une musique plus agressive, brute, puissante et électrifiée. Ils se nomment Muddy Waters, Little Walter, Sonny Boy Williamson... Ils rencontrent un certain succès auprès de la population du ghetto mais ne jouent pas encore en dehors de la Windy City, a contrario du groupe The Big Three qui a de son côté a un plus grand succès auprès d'un large public.
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En 1948 le Big Three Trio vend 90 000 exemplaires de ‘Wee Wee Baby’, une grosse vente pour l’époque. Cependant, les disques ne rapportent pas grand-chose, les tournées, beaucoup plus ... En 1951 Leonard Caston quitte la formation mais présente avant son départ le pianiste Lafayette Leake. Le trio tourne encore un peu, mais pas longtemps. Dixon a rencontré l’âme sœur, il aimerait bien bouger un peu moins et, comme beaucoup de musiciens de Chicago, il travaille depuis trois ans, de temps à autre, pour des sessions du label Aristocrat. Il a rencontré les frères Chess, propriétaires du label, lors d’une jam dans le club Macamba que ces derniers possèdent dans le South-Side.
- Affiche concert en 1962 (Source : ARF) -
N'oublions pas effectivement que ce sont bien les frères Chess qui sont les premiers à enregistrer le nouveau style émergeant du Chicago Blues. Un Blues qui puise ses racines dans le Country-Blues du Mississippi, mais joué avec batterie, harmonica et guitares amplifiées pour surmonter le tapage des Night-Clubs. Des Bluesmen comme Muddy Waters ou Sunnyland Slim sont parmi les tout premiers à être enregistrés dans ce style bien spécifique de Blues. En même temps n'oublions pas aussi que les frères Chess enregistrent et vendent des disques de Blues parce que ça rapporte, ils sont essentiellement commerçants. En fait, ce ne sont pas des experts en la matière. Leonard Chess disait clairement à propos de Muddy Waters : « Qu’est-ce qu’il est en train de chanter ? Je ne comprends rien du tout. ».
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En 1951, Willie Dixon est donc embauché par les frères Chess pour les seconder. Willie Dixon nous parle lui-même plus précisément de cette époque: « La première fois que j’ai rencontré les frères Chess, j’ai pensé que ça allait être bien et que je pourrais mettre en application ce que je savais. Ils me laissaient faire ce que je voulais, car Leonard admettait facilement qu’il n’en savait pas autant que moi sur le sujet. Il me traitait avec respect, tout du moins un peu plus que la moyenne de ce qui était le lot réservé au Noirs habituellement, et ce n’était déjà pas si mal. J’avais un job d’assistant. Je faisais tout, emballer les disques, balayer le sol et répondre au téléphone pour passer les commandes, mais ils ne me payaient pas grand-chose. Ils me promettaient toujours une augmentation pour la semaine suivante. »
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Willie Dixon est à présent la véritable éminence grise de la compagnie de disques : en dehors du balayage et du téléphone, il s’occupe surtout de la production, des arrangements, de la gestion du studio et joue de la basse durant toutes les sessions d’enregistrement ! Son rôle au sein de l’entreprise est si important que Leonard Chess le reconnaîtra plus tard comme étant son bras droit. En 1954, Willie Dixon parle d'une chanson, ‘Hoochie Coochie Man’, qui est faite, insiste-t-il, pour Muddy Waters. Il s’entend enfin répondre : « Eh bien, si Muddy l’aime, donne-la lui ». Le morceau est ainsi joué au club Zanzibar où ce produit Muddy Waters "The gypsy woman told my mother /da-da-da-da /... He’s gonna be a son a of a gun...". L'effet est immédiat et le morceau devenu légendaire, Muddy jouera ce titre jusqu'à ses derniers jours !
- Référence musicale 4 (en bas d'article) -
- Willie Dixon et Koko Taylor en 1968 (Source : CRC) -
Willie Dixon écrit pratiquement à la demande, il va écrire environ 150 chansons durant sa carrière. Il va nous donner ses recettes secrètes « La plupart des gars, en ce temps-là, pensaient que le blues devait être en 12 mesures. Quand on disait à un mec qu’on pouvait prendre un modèle différent, il était choqué, il ne voyait pas pourquoi ses chansons seraient différentes de celles des autres. Naturellement, je devais expliquer que, si tout se ressemblait, pourquoi les gens achèteraient son disque plutôt que celui d’un autre ? Si les gens aiment une chanson à la première écoute, ils diront : ‘Oh, c’est beau ! Écoutons la suivante’. Mais s’ils disent : ‘Remets-la !’, là, ils sont accrochés ! » Certains auront la sagesse d’écouter ses conseils, comme l'immense Chuck Berry en 1955 qui joue pour la première fois ‘Maybellene’. Dixon conseille à Berry de donner un côté plus Bluesy à sa musique. On connaît la suite, la chanson rencontre un énorme succès.
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Depuis quelques années, chez Chess, Dixon est sur tous les fronts, contrebassiste de toutes les sessions d’enregistrement, auteur-compositeur maison, arrangeur, producteur et même découvreur de talents. Mais question royalties, avec les frères Chess, c’est toujours ‘on verra demain’. A la longue Dixon se lasse, on en vient à se disputer, et il s’en va voir ailleurs, n’assumant plus que sa fonction de contrebassiste. Au final face à l'attitude de non reconnaissance artistique et financière des frères Chess, Willie Dixon quitte Chess Records au début 1957 et rejoint le petit label Cobra qui n'a qu’un seul artiste à son catalogue, Arbee Stidman qui se vend mal.
Le propriétaire du label Cobra, Eli Toscano, sait bien le travail qu’a fait Dixon chez Chess, il aimerait le voir amener d’autres artistes. Avec Eli Toscano, et Cobra Records Dixon a un contrôle total sur le côté artistique ... situation incomparable avec Chess. Willie Dixon découvre et fait enregistrer de jeunes musiciens qui ont un son plus moderne, le West-Side sound, fusion d’influences Delta-Blues et Chicago-Blues façon Chess, avec mise en avant de solos de guitare. Les petits nouveaux se nomment Buddy Guy, Magic Sam, Otis Rush. Dixon réalise aussi les tout premiers enregistrements de Freddie King, mais ils ne verront jamais le jour. Willie Dixon ne s'occupe pas uniquement de Blues chez Cobra Records. Il enregistre aussi des sessions de Gospel et de Rhythm’n’Blues.
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Mais, le label ne vit pas longtemps (avec en 1959 son dernier enregistrements avec Ike & Tina Turner). Le producteur Eli Toscano a des dettes et il est retrouvé mort dans le lac Michigan ... Malgré cette fin de l’aventure pour Cobra Records, Willie Dixon continue toujours d’assurer les sessions d’enregistrement chez Chess et, en marge de ses activités principales. De plus il a des activités avec sa société Ghana Booking Agency. Cette dernière propose, à Chicago des musiciens comme JB Lenoir, Memphis Slim, Little Brother Montgomery, Magic Sam, Fred Below, Koko Taylor, Otis Rush et bien d' autres ; avec des Shake & GoGo dancers !
- Référence musicale 5 (en bas d'article) -
- Menphis Slim, Sonny Boy II et Willie Dixon en 1962 (Source : AFBF) -
Même si le Blues ne fait plus recette durant cette fin des années 1950, Willie Dixon et son vieux compagnon Memphis Slim essayent de changer la donne, ils décident de présenter un duo dans les clubs de la ville quand ils peuvent décrocher des contrats. Grâce à la nouvelle vague du revival Blues, les deux compères vont être, entre autres, engagés au festival de Newport en 1957 et 1958. Ils jouent dans le circuit des clubs de Blues et Folks de la Côte Est et de la Côte Ouest. Ils vont souvent jouer durant cette période avec Big Joe Williams, Sonny Boy Williamson, Elmore James, ou Robert Jr. Lockwood.
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Ce n'est que en 1959 que Willie Dixon grave son premier disque en leader pour Bluesville Records ," Willie’s Blues", accompagné par Memphis Slim, Harold Ashby (sax ténor), Wally Richardson (guitare) et Gus Johnson (batterie). Par la suite, le duo Dixon/Slim sort des enregistrements chez Verve, The Blues Every Which Way et, chez Folkways, Live At The Village Gate. Ensuite, Memphis et Willie se rendent en Angleterre pour une série de concerts. De retour à Chicago, alors qu’ils jouent au club Gate Of Horn, ils sont approchés par une Israélienne, propriétaire d’un club à Haïfa, qui souhaite les engager. Les voilà donc pour quelques semaines en Israël en 1960. Voyage qui va les ruiner après avoir été victime d'une escroquerie ... Les poches vides, comment rentrer au pays ? Depuis quelques temps déjà, Dixon a des échanges épistolaires avec Horst Lippmann, producteur d’émissions musicales à la télévision allemande. Il lui avoue l’impasse dans laquelle il se trouve avec Memphis Slim. Lippmann organise leur venue à Paris. Ils trouvent un job aux Trois Mailletz en semaine (cf. l’album "Live At The Trois Mailletz") et une de leurs connaissances, Bob Noss leur décroche quelques contrats pour le week-end en France !
Willie Dixon va en fait rester en Europe quelques semaines qui vont profondément le marquer. C'est effectivement à ce moment qu'il a eu des contacts étonnants avec la jeunesse, surtout celle rencontrée en Angleterre, un rivage où s’estompe la barrière de la langue pour lui. Willie Dixon va vite se rendre compte de l’intérêt que manifestaient les Européens pour le Blues Afro-Américain. Cette constatation va l'amener a penser qu’il peut donner une dimension internationale à sa musique Blues. De retour à Chicago, il entretient sa relation avec Horst Lippmann et Fritz Rau. C'est grâce à cette amitié qu'il va réussir l'incroyable exploit de monter la tournée de l’American Folk Blues Festival. Festival au fondement d'une partie de la culture musicale Modernist. En août 1962, les musiciens arrivent à Francfort, tout se passe bien et Lippmann est aux anges ! Willie Dixon est des trois premières tournées de l'American Folk Blues Festival. Beaucoup de musiciens Afro-Américains vont s'apercevoir qu’ils gagnent bien plus d’argent en Europe et surtout qu’ils sont mieux respectés sur le sol de la veille Europe. N'oublions pas que le Blues Afro-Américain va se propager sur le vieux continent, grâce en partie à ce festival, puis avec l’émergence du British Blues. Un Blues Britannique qui va justement faire l'objet d'une approche toute spéciale proposé par un grand connaisseur de ce style profondément ancré dans l'histoire Modernist.
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Willie Dixon va travailler de nouveau pour la compagnie Chess. Il va même introduire les immenses Buddy Guy et Otis Rush dans le catalogue du label des frères Chess, tout comme Koko Taylor dont il lance la carrière sur le label de Chicago. En même temps, il ne perd pas de vue l’Europe (ses tournées de l’AFBF durent jusqu’en 1971). Malheureusement la fin des années 1960 voit disparaître de nombreux maîtres du Blues Afro-Américains comme Elmore James, Sonny Boy Williamson, Little Walter et J.B Lenoir. De plus, le label Chess est vendu en 1969. Willie Dixon dirige son tout dernier enregistrement pour le label en 1970. En fait depuis 1969 il est surtout concentré sur sa formation des Chicago Blues All Stars avec Johnny Shines à la guitare et au chant, Sunnyland Slim au piano, Walter Shakey Horton à l’harmonica, Clifton James à la batterie, et lui-même à la basse et au chant.
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Un peu plus tard, durant les années 1970, en plus de ses prestations scéniques, Willie Dixon est toujours en pleine activité : il écrit toujours des chansons, et produit de nombreux autres artistes, tout en gérant son propre label, Yambo Records. En 1973 Willie Dixon enregistre et sort l’album "Catalyst", puis quatre ans plus tard paraît "What’s Happened To My Blues ?" Durant la première moitié des années 1970 Willie Dixon est sur la route des concerts six mois par an. Mais malheureusement son diabète chronique va l'obliger à être hospitalisé. La jambe droite de Willie Dixon est amputée, mais malgré cette grave opération, et après une période de repos et de récupération, il reprend la route !
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C'est en 1977 que le combat qu’il mène depuis de nombreuses années pour que les droits des auteurs et compositeurs noirs soient enfin reconnus. De ce fait, au même titre que leurs collègues blancs, les artistes noirs peuvent enfin bénéficier de leurs droits. Dans la même démarche humaniste, Wilie Dixon va également fonder la Blues Heaven Foundation ; une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de faire connaître l’importance musicale et historique du Blues dans l'environnent scolaire. De cette manière son association apporte un soutien aux musiciens de Blues en les épaulant pour la protection et la récupération des droits d’auteur. Une avancée inestimable pour l'ensemble des artistes de la communauté noir Afro-Américaine toujours victimes d'abus scandaleux. Une association qui aurait surement due intervenir fréquemment dans le cas précis du label des frères Chess par exemple !...
- Référence musicale 6 (en bas d'article)
- Plaque commémorative à Vicksburg dans le Mississippi aux Etats-Unis (Source : MBM) -
En 1983, la consécration internationale arrive par son enregistrement live au Montreux Jazz Festival qui lui vaut une nomination aux Grammy Awards. Cette même année 1983 il quitte la ville de Chicago pour s'installer en Californie. Willie Dixon va travailler durant cette période pour des musiques de films (La Bamba, La Couleur De l’Argent, Ginger Ale Afternoon). Plus tard en 1987, Willie Dixon réussit a faire reconnaître ses droits d'artistes en remportant un procès qui l’oppose depuis deux ans aux avocats de Led Zeppelin. Finalement le morceau ‘Whole Lotta Love’ est enfin reconnu comme un véritable plagiat de ‘You Need Love’, écrite pour Muddy Waters au début des années 1960 ... Au moins cette fois le pillage éhonté de la musique Afro-Américaine est reconnu par les tribunaux !!!
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En 1988, Willie Dixon retourne enregistrer "Hidden Charms" pour Capitol Records. Ce morceau reçoit le Grammy Award du meilleur enregistrement de Blues Traditionnel en 1989. Enfin, en 1991, un live en compagnie d’un All Stars Blues reformé, Good Advice (Wolf) est enregistré à Long Beach en Californie.
C'est le 29 janvier 1992, que le grand Willie Dixon disparaît à l'âge de 76 ans.
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La toute première place de ce Bluesmen Afro-Américain au sein du Pantheon des artistes chéris par la culture Mod s'explique en grande partie par sa profonde influence sur la diffusion de cette culture musicale en Europe dés le tout début des années 1960.
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Au final, c'est incontestablement l'incroyable et riche existence de Willie Dixon, n'hésitez pas a lire (ou relire) à ce propos sa superbe auto-biographie " I’m The Blues", qui a clairement largement inspiré et alimenté ces lignes. Un fantastique Bluesmen qui mérite assurément un hommage éternel !
Alexandre Saillide-Ulysse
75 M.N.S ®
- Affiche de l'American Folk Blues Festival en 1964 avec Willie Dixon (Source : AFBF)
Sources :
- Philippe Bas-Raberin "Le Blues Moderne 1945-1973" - éditions Albin Michel, Paris, 1986
- Gérard Herzhaft "La Grande Encyclopédie du Blue" - éditions Fayard, Paris, 1997-2008
- Jacques Demètre et Marcel Chauvard "Voyage au pays du Blues", éditions CLARB, Levallois, 1995
- Don Snowden avec Willie Dixon "I am the Blues Willie Dixon", éditions Da Capo Press, 1990
- Différents numéros des magazines "Soul Bag" (Fr) et "Blues Unlimited" (U.K)
Références musicales :
- Sélection 1 : Willie Dixon "Walkin' the Blues" - Checker Records (822) - 1955
- Sélection 2 : Willie Dixon & The Big Three Trio "Big Three Stomp" - Dr Horse Records (Réédition de 1986 /Original 78 RPM en 1947 )
- Sélection 3 : Willie Dixon "29 Ways" - Checker Records (851) - 1956
- Sélection 4 : Koko Taylor (& Willie Dixon) "Wang Dang Doodle" - Checker Records (1135) - 1966
- Sélection 5 : Willie Dixon (& Memphis Slim) "Nervous" - Prestige Records (803) - 1960
- Sélection 6 : Willie Dixon & The Big Wheels "Uncle Willie's Got A Thing Going'On" - Federal Records (12524) - 1964
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