Le Cercle Modernist

Le Cercle Modernist

Riverside Records Saga

 

catalog_riverside-1956-1957r (2).jpg
- Catalogue de la compagnie Riverside Records en 1957 (Source : LDC) -
 

La compagnie de disques Riverside illustre pleinement la véritable fièvre musicale qui s'empare de la Big Apple, lors de l'émergence et de la diffusion du Hard'bOp Jazz à partir du tout début des années 1950. Une période bien particulière pour l'histoire du Jazz Afro-Américain, que nous avons déjà eu l'occassion d'aborder au sein de cette même rubrique "Race Music / Jazz Au'Clair" du "Cercle Modernist".

Soutenue par la virtuosité de ses talentueux interprètes, et caractérisée par une époustouflante inventivité musicale ; l'histoire de la compagnie Riverside Records est totalement indissociable de cette véritable renaissance musicale de la musique Jazz Afro-Américaine du XXe siècle. Indubitablement, Riverside Records possède un des plus impressionnant et prolifique catalogue de l'histoire de la musique Jazz de l'après Seconde Guerre Mondiale.   

 

Riverside Records est un label de Jazz authentique qui a une place toute particulière dans la culture musicale Modernist. Tout comme son "petit frère" indépendant Prestige Records, ou bien le mythique label de New York City, Blue Note Records, ces labels représentent l'essence même du Mod'JazzLes remarquables enregistrements de ces labels restent assurément de fortes références pour les différentes générations Modernist (n'hésitez pas, justement, à vous reporter à notre sélection musicale spécifique).

 

- Référence musicale 1 (en bas d'article) -

 

riverside-white-bill-evans-explorations-800.jpg

 - Logo  Riverside Records  (Source : LDJ) -

  

 

Riverside Records Historia 

 

La compagnie de disques Riverside voit le jour en 1953 à New York City ; plus exactement le siège de ce nouveau label est situé au 553 West 51st Wtreet. Le label est fondé et mis sur pieds par les producteurs et hommes d'affaires Bill Grauer et Orri Kneepnews. En premier lieu, il me semble primordial de souligner que la création et l'histoire du label Riverside Records est totalement indissociable de ces deux personnalités, et en particulier de monsieur Orri Kneepnews (1923-2015). Une personnalité charismatique dont la vie et l'oeuvre illustrent parfaitement cette période d'or pour les compagnies de disques et l'industrie musicale durant les années 1950.

Orri Kneepnews née en 1923 dans une famille Juive du quartier du Bronx à New York City. Le jeune homme passe une heureuse jeunesse entouré par une famille aimante, sa mère est professeur d'école et son père fonctionnaire. Après un bon cursus à la Columbia University, Orri Kneepnews obtient une Licence en 1943. Orri participe alors à la Seconde Guerre Mondiale, contre le Japon précisément, avant de revenir finir son cycle universitaire à la Columbia Unversity en 1946. Orri va y finir sa Maîtrise au sein de cette université jusqu'en 1948.

 

 emblema-strumenti-note-jazz-isolato-musica-musicale-vettori-eps_csp68638431 (1).jpg

 Parallèlement durant ces années, Orri Kneepnews travaille pour la maison d'éditions Simon & Schuster, tout en devenant éditeur d'un petit magazine spécialisé de Jazz "The Record Changer". Je note, au passage, que même s'il reste difficile a dénicher, ce magazine de Jazz "The Records Changer"est une véritable mine d'information, . Petit à petit Orri Kneepnews réussit a se faire une renommée grâce a sa plume parmi les journalistes musicaux de la Big Apple. Orri va par exemple être le premier journaliste a écrire un article sur le Jazzmen Thelonius Monk, future grande star mondiale de la musique Jazz.

Orri Kneepnews connaît donc parfaitement l'environnement musical particulièrement riche et varié de la Big Apple durant ce début des années 1950. Nous sommes effectivement à un moment charnière pour la musique Afro-Américaine avec l'émergence et la diffusion du Rhythm'n'Blues. Le Rhythm'n'Blues, ce style musical novateur, va se nourrir de l'immense richesse des différents genres qui l'ont précédés. Lorsqu'il décide de mettre en route sa nouvelle compagnie, avec Bill Grauer, Orri Kneepnews est bien conscient de l'immense potentiel qu'il peut tirer de l'explosion musical provoquée par le Hard'Bop au sein de la musique Jazz.

 

 - Référence musicale 2 (en bas d'article) -

 

orrin-keepnews-1970-billboard-650-a.jpg
 
 - Orrin Keepnews (1923-2015) / Source : BBM) -

 

Au départ de la création du label Riverside Records, l'intention des propriétaires Bill Grauer et Orri Kneepnews est de sortir des rééditons de disques de Jazz, plus exactement du Swing Jazz et des classiques issus des catalogues des compagnies Paramount Records et Gennett Records. Mais très vite, grâce à un carnet d'adresses bien pourvu, Orri Kneepnews décide de se lancer dans l'enregistrement d'artistes de Jazz Afro-Américain contemporain. Ainsi, le tout premier Jazzmen qui enregistre pour Riverside Records est le grand pianiste et compositeur Randy Weston en 1954. C'est grâce a ses premiers enregistrements pour le label de Bill Grauer et Orri Kneepnews, notamment avec "Cole Porter in a Modern Modd", que Randy Weston connaît un important et rapide succès. 

Ce premier enregistrement de Randy Weston pour Riverside Records marque le départ d'une belle et longue aventure musicale et discographique pour ce label. Effectivement à partir de l'année 1955 la label Riverside Records prend une toute nouvelle envergure grâce a ses nouveaux enregistrements, illustrant une production d'artistes Jazzmen très prometteurs. Encore une fois la parfaite connaissance de l'environnement musical de la Big Apple permet à Orri Kneepnews d'accueillir au sein de l'écurie de son label de très nombreux virtuoses du Jazz Afro-Américain. Il réussit l'exploit de faire signer des vedettes confirmées, tout comme de talentueux artistes très prometteurs.

 

 emblema-strumenti-note-jazz-isolato-musica-musicale-vettori-eps_csp68638431 (1).jpg

Le grand Thelonius Monk (1917- 1982), qui apparaît régulièrement au sein de la sélection Jazz de la rubrique "Jazz 45's Libellus" du "Cercle Modernist", est une des figures marquantes de l'histoire du label. Thelonius Monk signe effectivement un contrat pour Riverside Records en 1955. Cette nouvelle collaboration donne dès 1956 l'album "The Unique Thelonius Monk" (RLP 12-209) qui installe naturellement (étant donnée sa déjà longue carrière) ce grand pianiste comme une des principales vedettes du label. Thelonius Monk signe chez Riverside Records après ses nombreuses années d'enregistrements pour les prestigieux labels Blue Note Records (1947-1951) et Prestige Records (1952-1954). C'est incontestablement une période durant laquelle il va écrire et jouer les plus illustres et mythiques sessions de Jazz.

Pourtant, lorsqu'il signe pour Riverside Records Thelonius Monk est au plus mal. Il lui est effectivement interdit de jouer dans les clubs, sa carte officielle de musicien professionnel lui est reprise par les autorités. Pour la petite histoire cette interdiction est due a son arrestation avec Bud Powell pour consommation de stupéfiants. Face à cette interdiction, Thelonius Monk va malheureusement devoir jouer dans des bars clandestins et des bars douteux pour gagner de quoi vivre. Cette signature pour Riverside Records est donc un véritable second souffle pour le pianiste qui va de nouveau pouvoir exceller de son art pour l'ensemble du public. Thelonius Monk va rester de 1955 à 1962 chez Riverside Records.

 

- Référence musicale 3 (en bas d'article) -

 

riverside-addresses-4-ljc-2018-2-21.jpg

- Encart publicitaire en 19    (Source :  BBM) -

 

Le catalogue de la compagnie Riverside Records est indissociable du Hard Bop Jazz Afro-Américain qui est omniprésent dans l'environnement musical de la Big Apple. New York City est le lieu de création et d'épanouissement de ce nouveau Jazz du début des années 1950 dénommé Hard Bop. Le Modern Jazz né à la fin de la Seconde Guerre Mondiale commence a lasser le public. Une nouvelle question devient radicalement primordiale pour les musiciens de Jazz Afro-Américains : Comment trouver un public attentif à leur musique expérimentale Jazz et leur militantisme pour une culture Afro-Américain ?

Le Hard-Bop Jazz va justement se donner comme but de rechercher la source et la tradition de la musique noire Afro-Américaine à travers l'héritage de la musique Blues et le Spiritual/Gospel. Ce sont les musiciens du Be-Bop qui furent à l'origine de cette nouvelle vague du Modern jazz, sombre, militante et urbaine appelée Har'Bop. Les musiciens directement issus de cette mouvance Hard Bop vont être très nombreux au sein du label Riverside Records. Parmi ces prestigieux et talentueux musiciens Hard Bopers qui vont enregistrer dans le studios de Riverside Records, il faut entre autres dénommer Cannonball AdderleyBill EvansCharlie ByrdJohnny Griffin et monsieur Wes Montgomery ... un authentique Pantheon de la musique Jazz !

 

 emblema-strumenti-note-jazz-isolato-musica-musicale-vettori-eps_csp68638431 (1).jpg

Les couvertures des albums Lp du label Riverside, tout comme celle de chez Blue Note illustrent parfaitement cette période très spécifique des années 1950 à New York City. Les musiciens de Jazz Afro-Américain étaient effectivement très attentifs a leur allure et style vestimentaire. Plusieurs témoignages de musiciens de Jazz originaux attestent cette attitude portée clairement vers le style Américain de l'Ivy League. La volonté d'élégance vestimentaire de ces jeunes musiciens Noirs est indissociable de leur combat politique et militant, c'est pour eux un moyen d'affirmer fièrement leur identité d'Homme Noir. Car n'oublions pas que le Hard Bop émerge dans un pays encore tenu par ses démons racistes et sa la terrible, inhumaine et injuste politique ethnique.

En outre de la très grande qualité musicale des productions Jazz de Riverside Records, ce label est en effet particulièrement collectionné pour ses magnifiques pochettes d'album. Le design des pochettes de la compagnie Riverside est d'ailleurs devenu une de ses "marque de fabrique" dès les premières productions. Les exemples sont très nombreux pour illustrer ce véritable art des pochettes de disques, comme avec Charlie Bird et les magnifiques couleurs  de son album "Blues Sonata" (Riverside 9453 en 1963) ou encore celle de James Clay ("A Doudle Dose Of Soul" Riverside RLP-9349 en 1961 / ci-dessous). 

 

 - Référence musicale 4 (en bas d'article) -

 

 james-clay-a-double-dose-of-soul-ab-s.jpg

- James Clay  / Riverside Lp 9349 en 1961 (Source : 75 M.N.S ®) -   

  

 A partir de 1959 la compagnie de disques Riverside Records débute une série d'enregistrements consacrées aux concerts des musiciens issus de son prestigieux catalogue. Ces productions sont inaugurées par un concert du Cannonball Adderley Quintet au sein du fameux Club Jazz Workshop à San Francisco. Parmi les plus fameux de ces enregistrements figurent  ceux de Bill Evans effectués au Village Vanguard en 1961. Pour la petite histoire, quelques jours après cet enregistrement le talentueux contrebassiste Scott LaFaro meurt dans un accident de voiture. C'est justement après ce drame que le grand pianiste Bill Evans va prendre la décision de se retirer de la scène.

Avant ce retrait, Bill Evans va écrire le célèbre morceau « Re-Person I Knew », titre en apparence énigmatique mais qui se révèle en fait être un hommage sous la forme d'un anagramme dédié à Orrin Keepnews. Durant cette période des artistes majeurs comme Bill Evans, Charlie Byrd, Johnny Griffin et Wes Montgomery  rejoignent Weston et Monk. De ce fait, la compagnie disques Riverside (et sa filiale Jazzland) devient un réel et sérieux rival pour les labels plus connus comme Prestige et Blue Note Records. Excellent producteur et chroniqueur doué (auteur entre autres de notes de pochette toujours très informatives), Orrin Keepnews était un producteur vraiment apprécié par les musiciens de Jazz de la Big Apple.

• 

Au début des années 1960 les temps deviennent difficiles pour Riverside Records. Le label ne peut pas résister a la farouche compétition exercée par les Majors Company de Jazz qui connaissent un fulgurant succès. Les principaux artistes sont effectivement recrutés par les autres labels et quittent Riverside Records comme Thelonious Monk qui signe chez Columbia Records, ou Cannonball Adderley qui rejoint Capitol Records, et enfin Wes Montgomery qui signe lui un tout nouveau contrat chez Verve Records. En plus de cette véritable hécatombe chez Riverside Records, le second propriétaire du label Bill Grauer meurt pour sa part des suites d'une crise cardiaque durant le mois de décembre 1963.

 

- Référence musicale 5 (en bas d'article) -

 

R-1262382-1511892841-9988.jpeg.jpg

- Lp Riverside Records (9455) en 1962 (Source : 75 M.N.S ®) -

 

Après la disparition de Bill Grauer en 1963, on découvre que la comptabilité d la compagnie Riverside Records masque de graves déficits financiers. Malgré tout ses efforts Orrin Keepnews ne peut sauver Riverside Records qui fait faillite quelques mois plus tard. Le travail accompli par ce label est considérable : en quelques onze années, plus de cinq-cents disques ont été publiés et montrent une large connaissance de l'histoire du Jazz des tout débuts, jusqu'au progressiste George Russell. Notons que Riverside Records va aussi produire quelques disques de Blues avec John Lee Hooker et Odetta. Une seule compagnie a produit autant de disques que Riverside, c'est Prestige la compagnie de Bob Weinstock. Mais alors que ce dernier était surtout attaché au profit immédiat, Orrin Keepnews travaille pour l'avenir en plein accord avec les musiciens.

 •

Alors qu'à la fin de leur contrat la plupart des artistes cherchent à quitter Prestige Records, les musicien du label Riverside retrouveront toujours avec plaisir la direction de Orrin keepnews. Il est à noter que la plupart des référence Riverside ont été rééditées en Cd sur le label Orginal Jazz ClassicsAprès la mort de Bill Grauer fin 1963, la société a fait faillite et a été reprise d'abord par ABC Records et ensuite par Fantasy Records en 1972. Le catalogue est aujourd'hui réédité et bien distribué via Original Jazz Classics (OJC) qui appartient à la compagnie de disques Fantasy.

 •

Pour sa part, Orrin Keepnews n'abandonne pas pour autant la production et travaille en indépendant pendant deux ans. En 1966 il s'associe au pianiste Dick Katz et fonde une nouvelle compagnie de disques indépendante : Milestone Records qui continue dans la lignée de Riverside en enregistrant des musiciens déjà confirmés. McCoy Tyner, Joe Henderson, Gary Bartz vont produire plusieurs disques sur le nouveau label. Orrin Keepnews a reçu de nombreuses récompenses, outre ses Grammy Awards : un Trustees Award for Lifetime Achievement en 2004 et en 2011 un NEA Jazz Masters Lifetime Achievement. Il avait eu deux enfants de son premier mariage : David Keepnews qui enseigne les soins infirmiers et la politique de santé au Hunter College à New York et Peter Keepnews grand journaliste de Jazz pour le célèbre journal le New York Times.

 

- Référence musicale(en bas d'article) -

 

 Keepnews672-1.jpg

 - Lp Riverside Records du Thelonius Monk Sextet  (Source : JM ) - 



Cette approche de la compagnie de disques Riverside Records, créée en 1953 par Orri Keepnews et Bill Grauer, nous a rappelé son immense impact sur une période décisive dans l'histoire du Jazz Afro-Américain. Ce label représente incontestablement la quintessence du Jazz, un style musical qui a littéralement transformé l'ensemble de la musique contemporaine.

De nos jours, les précieux vinyles sortis par Riverside Records sont toujours très prisés au sein de la scène Modernist et aux quatres coins de la terre maintenant ! Il est vrai que la superbe esthétique des pochettes est un véritable "must" pour tous les collectionneurs et passionnés. Car, cette esthétique du label est clairement indissociable de la culture de l'Ivy League reflétant parfaitement l'esprit et l'âme de l'authentique culture Mod.      

 

Alexandre Saillide-Ulysse

75 M.N.S ®

 

Sources :

 

- Gérard Montariot "Le Jazz et ses musiciens", éditions Hachette, Paris, 1963

- Lucien Malson "Histoire du Jazz" éditions Seuil, Paris, 1994 (1er édition 1976)

- Joachin -Ernst Berendt "Le Grand Livre du Jazz" - éditions Du Rocher, Paris, 1987

- Mervyn Cooke "Jazz", éditions Thames and Hudson, London, 1999

- Michael Mallot "The Complete Riverside Records Discography" - éditions CSP, New York, 2016

- Divers numéros des magazines "Jazz Hot", "Jazz Magazine"

 

Références Musicales :

 

- Sélection 1 : Max Roach "Jodie's Cha Cha" - Riverside Records (R45417) - 1958

- Sélection 2 : Cannonball Adderley "Sidewalks Of New York" -Riverside Records (R45-415) - 1959 

- Sélection 3 : Bobby Timmons Trio "Dat Here" - Riverside Records (R45-437) - 1960

- Sélection 4 : James Clay "Pocket" - Riverside Records (Lp "A Double Of Soul" / RLP 9349) - 1961

- Sélection 5 : Cannonbal Adderley & Sergio Mendes "Groovy Samba" - Riverside Records (FR/RS9455) - 1962  

- Sélection 6 :Thelonius Monk "Monk's Music" - Riverside Records (Lp/12242 ) - 1957



09/10/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 706 autres membres