Dexter Gordon (1923-1990) "The Sophisticated Giant"
- Dexter Gordon à Paris circa 1964 (Source : JM)
Dexter Gordon (1923 -1990) est très certainement un des Jazzmen les plus révéré et admiré par les Mods, mouvement d'avant garde totalement férus de musique Jazz Afro-Américaine. Véritable "Géant Sophistiqué", la renommée de "Dex" va largement dépasser le seul champs musical de la musique Jazz.
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Véritable Maestro du saxophone ténor, instrument phare du Jazz Afro-Américain du milieu des années 1950, Dexter Gordon va traverser le XXe siècle en accompagnant avec son incomparable jeu la plupart des immenses et incontournables musiciens du Be'Bop et du Hard Bop Jazz.
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Dexter Gordon symbolise brillamment l'évolution stylistique de la musique Jazz. Tout en étant marqué par la virtuosité, le jeu simple et lisible de Dexter Gordon va séduire et permettre à de nombreuses générations d'apprécier à sa juste valeur cette puissante musique Afro-Américaine.
- Référence musicale 1 (en bas d'article) -
- Lionel Hampton Orchestra circa 1942 (Source : LCW) -
Dexter Gordon voit le jour le 27 février 1923 dans la ville de Los Angeles, située dans l'immense état de Californie. Tout comme le grand Miles Davis (1926-1991), Dexter Gordon est issu de la classe supérieure noire. Son père est un Afro-Américain hautement diplômé. Plus précisément, Frank Gordon, est le second noir à obtenir le précieux diplôme docteur en médecine dans la ville de Los Angeles.
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Nous sommes en pleine période de l'Harlem Renaissance et une classe noire supérieure apparaît dans les grandes villes et mégalopoles comme Los Angeles. Le docteur Gordon va avoir le privilège de soigner parmi les illustres personnages de cette haute société Afro-Américaine, Louis Armstrong (1901-1871) et Duke Ellington (1899-1974).
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Il est important de souligner que Dexter Gordon a des origines riches et diverses à travers divers continents. Tout d'abord, ses magnifiques yeux bleus rappellent ceux de son arrière grand-père d'origine française, plus exactement normande. Ses traits de visage particuliers soulignaient les origines Malgaches de sa maman.
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Enfin, son illustre grand-père était un et ancien officier de l'U.S Army, qui a servi au sein des valeureux Buffalo Soldiers durant la sanguinaire et fratricide Guerre de Sécession (1861-1865). Ce terme de Buffalo Soldiers désignait les premiers régiments composés de soldats noirs au sein de l'US Army.
Pour la petite histoire, je rappelle que ce sont ces même soldats qui vont inspirer plus tard le grand musicien Jamaïcain Bob Marley (1945-1981) dans sa chanson justement intitulée "Buffalo Soldier". Tout en exerçant la très respectable profession de médecin, d'autant plus pour un Afro-Américain, le père de Dexter, monsieur Frank Gordon, était aussi un authentique passionné de musique Jazz.
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Il faut souligner que la ville de Los Angeles avait une riche scène musicale et de nombreux clubs jouant du Jazz, situation largement favorisée par une forte activité économique. Los Angeles est effectivement en pleine croissance économique et démographique. L'essor économique de la ville est d'abord poussé par l'industrie de l'armement lors de la Première Guerre Mondiale (1914-1918).
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Puis, Los Angeles est revivifiée par l'installation des premières grandes compagnies de cinéma dans le quartier d'Hollywood. Comme la fameuse compagnie "Warner Bros" qui est justement créée en 1923. En outre, il faut souligner que la ville de Los Angeles avait la particularité d'avoir une communauté Afro-Américaine très active, dont une importante classe supérieure.
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Cette communauté comprenait une part non négligeable de jeunes diplômés occupant des emplois de classe supérieure, ainsi que des riches hommes d'affaires à la tête de florissantes entreprises. C'est la période du mouvement progressiste de l'Harlem Renaissance, portée par une génération d'avant garde annonçant le futur mouvement des Droits Civiques de Martin Luther King (1928-1968).
- Référence musicale 2 (en bas d'article) -
- Dexter Gordon en 1947 (Source : BB) -
Dès son plus jeune âge, Dexter va donc écouter et apprendre la musique auprès de son père qui est un véritable passionné de musique Jazz. Particulièrement doué et précoce, le jeune garçon apprends très vite a jouer de la clarinette. Il continue avec assiduité son apprentissage musical, tout en changeant d'instrument volontairement.
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Effectivement, à l'âge de 15 ans, Dexter Gordon fais le choix d'apprendre le saxophone alto. Même si le jeune musicien apprécie ce nouvel instrument, son objectif est d'apprendre a jouer sur divers instruments comme ses maîtres. Deux années plus tard, à l'âge de 17 ans, Dexter se tourne finalement vers le saxophone ténor, instrument qui va devenir sa grande spécialité.
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Pendant cette période, Dexter Gordon étudie assidument la musique sous la houlette bienveillante de Lloyd Reese (1920-1981) et Sam Browne (1939-1977). Dexter Gordon joue aussi régulièrement avec des amis étudiants, ou lors de concerts improvisés sur des campus universitaires devant un parterre de jeunes gens fascinés.
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Durant ces années, Dexter Gordon va notamment accompagner le contrebassiste et génial multi instrumentiste Charlie Mingus (1922-1979) et le saxophoniste Buddy Collette (1921-2010) dans un orchestre dirigé par le contrebassiste Al Adams. Ces nouvelles collaborations permettent à Dexter Gordon de parfaire encore plus sa technique de jeu qui est devenue impressionnante.
Pour la petite histoire, il faut souligner que la plupart des biographies relatives à Dexter Gordon affirment qu'il va débuter sa carrière de musicien professionnel à la fin du mois de décembre 1940 en intégrant l'orchestre de Lionel Hampton (1908-2002). En fait, la véritable histoire de son début de carrière est différente.
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C'est le livre écrit par son épouse Maxime Gordon, "Sophisticated Giant : The Life and the Legacy of Dexter Gordon" (sources en fin d'article), qui nous révèle plus précisément ses débuts. Maxine Gordon nous précise que son époux a fait ses "vrais débuts" auprès de l'immense "Stachmo", Louis Armstrong (1901-181), incomparable trompettiste multi instrumentiste et chanteur de génie.
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Dans cette imposante biographie de Dexter Gordon, son épouse Maxine Gordon nous livre un puissant témoignage appuyé par un important travail de recherches. Effectivement, pour écrire son livre, Maxine Gordon va effectuer de nombreux voyages à Madagascar et en France pour rechercher la famille de son époux.
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Maxine Godon va effectuer un véritable travail de généalogiste et d'historienne en fouillant les nombreuse archives des sociétés de droits d'auteurs, des postes de police, des hôpitaux, et des compagnies de disques pour lesquels Dexter Gordon a travaillé. Le livre "Sophisticated Giant : The Life and the Legacy of Dexter Gordon" va réussir l'exploit de rassembler plus de mille interviews de musiciens, de producteurs.
- Référence musicale 3 (en bas d'article) -
- Encart publicitaire du "Palomar Ballroom" dans les années 1930 (Source : LCW) -
Comme je l'ai souligné en début de propos, Dexter Gordon va largement profiter de l'importante scène de la Jazz Afro-Américaine de la ville de Los Angeles. Car, même si le Jazz apparait à la Nouvelle-Orléans à la fin du XIXe siècle, créé par les Noirs américains échappant à des siècles d’esclavage, cette musique s'est largement répandue dans l'ensemble des Etats-Unis.
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Forte d'une importante et active communauté Afro-Américaine, la ville de Los Angeles va développer une prolifique scène Jazz comprenant de nombreux clubs comme le fameux "Palomar Ballroom" de Los Angeles. Durant cette période, la musique Jazz est un moyen de revendiquer une certaine liberté contre la discrimination et à la ségrégation raciale.
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Cette musique Jazz va devenir un véritable exutoire culturel pour toute une génération de jeunes musiciens Afro-Américains. Ces musiciens vont parcourir le pays à la recherche d’opportunités pour jouer leur musique, en faisant ainsi voyager le Jazz jusqu’à des villes telles que New York, Chicago, et Los Angeles.
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C'est justement au sein du fameux club "Palomar Ballroom" à Los Angeles que l'immense clarinettiste Benny Goodman (1909-1986) va lancer la grande période des Jazz Big Bands, plus connue durant l'ère du Jazz Swing. Le "Palomar Ballroom" va avoir un rôle moteur primordial pour l'émergence et le développement de cette scène des grands orchestres du Jazz Swing.
Le Jazz est une musique en constante évolution et transformation. Au fil du temps, la musique Jazz va ainsi absorber d'autres styles de musiques Afro-Américains tels que le Blues, la Soul, et le Funk. Le Jazz est rapidement devenu un symbole de liberté, incarnant l’esprit d’une nouvelle génération avide d’exploration et d’expérience.
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Dans les années 1930 et 1940, le Jazz Swing va connaître une popularité sans précédent, notamment grâce aux clubs et aux concerts qui se multipliaient à travers les États-Unis. Ces clubs de Jazz étaient des endroits où les musiciens pouvaient jouer leur musique en toute liberté. Dans ces clubs de Jazz, les passionnés pouvaient se retrouver pour danser et écouter leur musique préférée.
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Il faut d'ailleurs rappeler que c'est justement dans ce même milieu de passionnés et amateurs de Jazz (mais plus d'une dizaine d'années plus tard) que vont apparaître en Angleterre les premiers Mods durant le milieu des années 1950. Comme je le souligne souvent, le lien entre la musique Jazz Afro-Américaine et l'authentique culture Mod est indissociable, similaire à un lien filial.
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En effet, c'est le message musical et culturel d'avant garde des jeunes Jazzmen Afro-Américains qui va séduire et largement influencer l'émergence de la toute première génération de Mods à la fin des années 1950. Notez que je développe justement, plus en profondeur, cette problématique dans le livre à paraitre "Style de Vie Modernist".
- Référence musicale 4 (en bas d'article) -
- Dexter Gordon au saxophone ténor et Billy Eckstine au trombone en 1945 (Source : I.K) -
En 1944, Dexter Gordon va donc passer quelques mois à jouer en compagnie du génial trompettiste Louis Armstrong qui va lui enseigner les véritables ficelles du métier de musicien de Jazz. Dexter Gordon se fait vite remarquer par le chanteur et trompettiste Billy Eckstine (1914-1993) qui l'invite a rejoindre son orchestre.
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Dexter Gordon intègre donc le fameux Big Band de Billy Eckstine, orchestre qui aura la particularité de lancer de très nombreuses futures vedettes. C'est au sein de cette formation que Dexter Gordon va faire connaissance de l'auteur compositeur et interprète Dizzy Gillespie (1917-1993), ainsi que de l'immense saxophoniste Charlie Parker (1920-1955). Comme il le raconte lui même des années plus tard, cette rencontre va largement marquer la carrière de Dexter Gordon.
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C'est auprès de ces deux authentiques géants de la musique Jazz que Dexter Gordon va préciser et parfaire son apprentissage musical en participant activement à la naissance de l'irrésistible Be'Bop Jazz. Parallèlement, Dexter reste profondément attaché à ses premières influences musicales des saxophonistes Coleman "Bean" Hawkins (1904-1969) et Lester Young (1909-1959) surnommé à juste titre "Prez" (le Président).
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Dexter Gordon, lui même surnommé "Dex", acquiert auprès de ces différents maîtres une véritable expérience grâce à son travail acharné. Très assidu et concentré, Dexter Gordon est une véritable éponge, il a la faculté d'apprendre rapidement de nouvelles techniques. Le maestro du saxophone alto est profondément inspiré par ses multiples collaborations qui abreuvent littéralement son jeu.
En 1943, Dexter Gordon va enregistrer la toute première fois sous son propre nom. Dexter Gordon sort deux excellents morceaux, "I've Found A New Baby" et "Sweet Lorraine". Durant de ces premiers enregistrements, Dexter Gordon est accompagné par un sideman de grand luxe en la personne de l'immense chanteur et pianiste Nat King Cole (1919-1965) qui est déjà une grande vedette.
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A partir de 1945, Dexter Gordon entame une nouvelle étape de sa carrière musicale. Plus exactement, Dex décide de quitter le Big Band de Billy Eckstine pour se concentrer sur sa propre destinée. Même si la formation rencontre un franc succès, le jeune musicien a besoin de changement. Dexter Gordon a noué de nombreux contacts grâce sa renommée grandissante au sein de la grande famille des musiciens de Jazz.
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Il est repéré et signe un contrat avec Herman Lubinsky un homme d'affaires qui vient de créer son propre label indépendant Savoy Records. Dexter Gordon commence à enregistrer dans les studios de la compagnie de disques Savoy Records en 1945. Dès l'écoute des premières séances d'enregistrements, Herman Lubinsky comprends qu'il a trouvé une véritable pépite en la personne de Dexter Gordon.
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Ces séances pour Savoy Records sont désormais devenues de véritables références pour les spécialistes et critiques mondiaux de musique. Dexter Gordon devient rapidement une référence pour les grands ténors à venir de la musique Jazz, comme pour les saxophonistes ténors John Coltrane (1926-1967) et Sonny Rollins.
- Référence musicale 5 (en bas d'article) -
- Monsieur Herman Lubinsky, en 1945, fumant un cigare en compagnie de ses musiciens, dont Freddie Webster à la trompette et Cozy Cole à la batterie (Source : VCH) -
Au passage, il faut souligner que Sonny Rollins, née en 1930, est bien heureusement toujours parmi nous et en pleine forme comme le prouve son récent passage à Paris. Dexter Gordon va enregistrer ces pièces maitresses accompagné du pianiste Bud Powell (1924-1966) et du batteur percussionniste Max Roach (1924-2007).
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En 1947, Dexter Gordon enregistre le désormais légendaire "The Chase" avec le saxophoniste ténor Wardell Gray (1921-1955) pour le Dial Records (78Tours/1017). Durant cette même période, à la fin des années 1940, Dexter Gordon apparaît dans divers spectacles et concerts auprès de célébrités comme le trompettiste Fats Navarro (1923-1950) ou Charlie Parker.
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Il est important de souligner le rôle de la compagnie Savoy Records et l'indéniable ingéniosité dans les affaires de son propriétaire Herman Lubinsky dans l'ascension de Dexter Gordon. Cette compagnie de disques, Savoy Records, illustre parfaitement le rôle des compagnies indépendantes dans la diffusion du Jazz.
Savoy Records est lancée en 1942 par l'homme d'affaires Herman Lubinsky (1896-1974) qui avait aussi tenu un magasin de disques à Newark, situé dans l'état du New Jersey. Malgré une totale absence de connaissance musicales, le propriétaire Herman Lubinsky était un homme d'affaires avisé et surtout avide de réussite.
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Herman Lubinsky savait parfaitement comment faire des affaires et tirer le meilleur parti de chaque situation avec un minimum de risque. Il avait parfaitement compris qu'une opportunité se trouvait dans le manque d’attention des grandes compagnies de disques vinyles pour les styles musicaux moins traditionnels que le Jazz Bop, le Gospel, ou le Blues.
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Herman Lubinsky va rapidement imposer sa compagnie Savoy Records en devenant ainsi l’une des premières compagnies de disques indépendantes dans les années 1940. Savoy Records va marquer l'histoire du Jazz en enregistrant une liste impressionnante d’artistes, dont certains des noms les plus légendaires de l’histoire de cette richissime musique Afro-Américaine.
- Référence musicale 6 (en bas d'article) -
- Album Blue Note (BLP 4146) en 1963 (Source : 75 M.N.S®) -
Le véritable coup de génie de Herman Lubinsky est de lancer dès la fin des années 1940, alors que la musique Rock 'n' Roll émerge à peine, des musiciens saxophonistes en marge du Jazz, tels que Paul Williams (1915-2002) ou Wild Bill Moore (1918-1983). Son idée initiale rencontre rapidement un franc succès auprès du public et les ventes de disques s'envolent.
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Durant les années cinquante, Savoy Records est clairement le label leader grâce à des artistes comme l'incroyable Johnny Otis (1921-2012) et son écurie de chanteurs de la côte Ouest, comme l’adolescente Little Esther (1935-1984). Malgré son incontestable succès initial, au fil du temps le label va être victime du comportement déplacé et des manières roublardes du propriétaire Herman Lubinsky.
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Le comportement manipulateur et la direction tyrannique de Herman Lubinsky vont effectivement coûter très cher à son label, ses artistes les plus célèbres l’ont rapidement quitté après de nombreuses malversations financières. Comme Herman Lubinsky ne connaissait rien à la musique, il s'était tout de même entouré des meilleurs arrangeurs et producteurs de l’industrie du disque.
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Ce sont de talentueux techniciens, souvent anonymes, qui ont vraiment construit les sons de la compagnie de disques Savoy Records. Ils vont fidèlement travailler pour Savoy Records jusqu'à la mort de leur patron propriétaire de la compagnie Herman Lubinsky en 1974. Cette même année 1974, le label Savoy Records est racheté par la compagnie de disques Arista Records qui vient justement d'être créée.
Comme d'autres nombreux Jazzmen, Dexter Gordon va malheureusement connaître des frasques indissociables à la consommation de drogues dures qu'il débute très jeune. Dans les années 1950, Dexter Gordon connaît de longues périodes d'inactivité en raison de problèmes médicaux liés à son addiction à la drogue dure.
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À cette époque, il est même emprisonné pour possession d' héroïne. Une situation que vont connaître d'autres nombreux musiciens de Jazz. Malgré ses graves déboires, Dexter Gordon arrive néanmoins à enregistrer trois albums en 1955 pour deux labels indépendants spécialisées : Bethlehem et Dootone Records.
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C'est encore grâce à une nouvelle rencontre que Dexter Gordon va finalement réussir a revenir durablement sur la scène musicale. Il est effectivement recruté en 1960 par monsieur Alfred Lion (1908-1987) le puissant propriétaire du prestigieux label Blue Note Records. Alfred Lion est toujours à l'affut des meilleurs musiciens de Jazz pour constituer le meilleur catalogue d'enregistrements.
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Blues Note Records est fondée dès 1939 par le producteur Alfred Lion et l'écrivain musicien et professeur Max Margulis (1907-1996). Dexter Gordon signe son contrat en 1960 pour Blue Note Records, la compagnie de disques est déjà une véritable institution largement reconnue dans le monde du Jazz.
- Référence musicale 7 (en bas d'article) -
- Alfred Lion, Dexter Gordon (au centre) et Francis Wolf en 1962 (Source : R.V.G©) -
Lorsque Dexter Gordon signe en 1961 pour le label situé sur la 61 street dans le quartier de Manhattan à New York City, Blue Note Records édite en janvier de cette même année les grands succès Horace Silver Quartet (Blue Note - 45 1751) devenus de véritables standards du Jazz.
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Durant ces années d'or, le label va largement bénéficier des hautes compétences d'ingénieur du son Rudy Van Gelderplus, Blue Note Records va développer une identité visuelle propre grâce a ses superbes couvertures d'albums du graphiste surdoué Reid Miles (1927-1993) en grande partie tirés du travail de l'excellent photographe Francis Wolf (1907- 1971).
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Francis Wolf rejoint le label Blue Note dans les années 1940 lorsque l'écrivain Max Margulis le quitte justement cette même année. Les superbes pochettes sorties par Blue Note Records vont vite devenir emblématiques et représenter le style Hard Bop Jazz diffusé par le label.
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Ce sont ces mêmes pochettes de disques qui vont fasciner la première génération de Mods, eux mêmes très largement influencés par cette culture Jazz Afro-Américaine. Avec le label Blue Note, Dexter Gordon va participer à l'émergence et au développement de ce style de Jazz dit Hard'Bop précisément écouté par les Mods.
Apparu au milieu des années 1950, le Hard'Bop Jazz est une réaction, une riposte, à la domination du style Cool Jazz. Ce style Hard'Bop prône un retour aux sources de la culture Afro-Américaine illustré par le mouvement "Black Is Beautiful". A la différence du style "Cool Jazz", le Hard'Bop n'est pas joué par des orchestres.
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Effectivement, musicalement, la particularité du Hard'Bop est d'être joué par des formations en quintette. Ces formations sont composées d'une section rythmique elle même accompagnée d'instruments soufflants, tels que les saxophonistes ou les trompettistes qui jouent en solos d'improvisations. Tout en s'inspirant du Be'Bop, les musiciens Hard'Bop vont ralentir le tempo de leur morceaux, en laissant plus de place à une pure expression musicale.
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La première génération de Mods (1958/1963) va être particulièrement attirée et fascinée par cette nouvelle forme musicale mise en forme par ces jeunes musiciens Jazz. Il ne faut pas oublier que le Hard' Bop est justement apparu durant le milieu des années 1950, c'est à dire parallèlement à la gestation et l'émergence des Mods.
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Cette première génération de Mods est celle des précurseurs d'un mouvement d'avant garde qui n'est pas encore en vogue, et surtout pas encore constitué en véritable mouvement identifiable. D'abord constituée par une grande part de musique et culture Afro-Américaine, le corpus culturel des Mods va s'étoffer au fil du temps avec les apports des générations successives.
- Référence musicale 8 (en bas d'article) -
- Album Blue Note (BST 84112) 1962 (Source : 75 M.N.S®) -
Durant son passage chez Blue Note Records, Dexter Gordon va incontestablement enregistrer ses plus belles compositions qui vont vite s'imposer comme des classiques intemporels de la musique Jazz. C'est aussi durant cette période que Dexter va séjourner durablement entre les capitales européennes Paris
en France et Copenhague au royaume du Danemark.
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Lors de ce séjour en Europe, Dexter Gordon va enregistrer à Paris pour Blue Note Records deux albums très importants dans sa longue carrière musicale. D'une part le superbe album "Our Man In Paris" en 1963 accompagné du grand pianiste Bud Powell (1924-1966) et l'immense batteur Kenny Clarke (1914-1985).
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L'année suivante, en 1964, Dexter Gordon sort l'album "One Flight Up" accompagné entre autres par le pianiste Kenny Drew (1928-1993). Même si tous les autres enregistrements de Dexter Gordon pour Blue Note Records ne vont pas tous avoir le même succès, il faut néanmoins souligner la très grande qualité de ces productions à tous les niveaux.
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Ces précieux enregistrements de Dexter Gordon sont désormais inscrits comme des trésors musicaux de l'Humanité. Durant ses enregistrements mémorables dans les studios de Blue Note Records à New York City, Dexter Gordon va effectivement donner toute la mesure de son immense génie musical. Ses nombreuses collaborations vont traverser et véritablement marquer l'histoire du Hard'Bop.
Toujours en Europe, plus exactement lors de ses passages à Copenhague, Dexter Gordon va également enregistrer pour le label danois «Steeplechase» des morceaux moins connus mais d'une très grande qualité. En 1965, tout en continuant d'honorer son contrat avec Blue Note Records, Dexter Gordon signe également un contrat avec une autre compagnie dédiée au Jazz, Prestige Records.
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D'abord mise sur pieds sous le non du label "New Jazz Records", le compagnie de disques Prestige Records est véritablement fondée en 1949. Dès sa création, Savoy Records va proposer à ses clients un riche catalogue de musiciens de Jazz. Pour la petite histoire, c'est justement Prestige Records qui va rapidement devenir le concurrent direct de Blue Note Records sur le très concurrentiel marché des compagnies de disques spécialisées en musique Jazz.
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Comme de nombreux autre musiciens de Jazz Afro-Américains, Dexter Gordon va beaucoup apprécier la liberté et l'absence de ségrégation raciale en Europe. C'est un véritable refuge pour Dexter Gordon qui est de plus considéré et reconnu comme une véritable vedette dans les capitales Paris et Copenhague.
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Le charisme naturel et la grande élégance de Dexter Gordon, tant vestimentaire que comportementale, vont séduire le public européen très friand de vedettes Afro-Américaines venant d'outre Atlantique. D'ailleurs, Dexter n'est pas le seul Jazzmen à être séduit par la liberté et l'accueil réservé aux musiciens Afro-Américains en Europe. Miles Davis, qui est tombé sous le charme de Juliette Greco, réside lui aussi très souvent dans sa ville chérie Paris.
- Référence musicale 9 (en bas d'article) -
- Dexter Gordon à Copenhague en 1962 (Source : BNF) -
Lors de ses séjours à Paris et à Copenhague, Dexter Gordon rencontre un grand succès, il fait salle comble lors de ses concerts. L'album "Montmartre 1964", édité en 2020 par le label Storyville Records, permet justement de se rendre compte des incroyables prestations musicales et prouesses de jeu de Dexter Gordon lors d'un concert au club "Jazzhus Montmartre" à Paris le 20 et 28 juillet 1964.
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Lors de ce concert l'été 1964, Dexter Gordon fait salle comble tous les soirs face à un public totalement conquis. Dexter Gordon va réussir à mettre en place une formation de musiciens internationaux de haute volée. Dexter Gordon est animé par une forte volonté de diffuser son message par le biais de musiciens de Jazz venus d'horizons différents, tant géographiques que musicaux.
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La nouvelle formation de Dexter Gordon est donc composée du talentueux pianiste d'origine Catalane Tete Montoliu (1933-1997), puis du génial contrebassiste Danois Niels Pedersen (1946-2005). Il faut y adjoindre un autre musicien d'origine danoise en la personne du vigoureux et très doué batteur Alex Riel (1940-2004).
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Avec cette nouvelle formation, le jeu de Dexter Gordon est vraiment prodigieux. Le musicien est au sommet de son Art. Ses improvisations sont puissantes, étonnantes et prenantes. Dexter Gordon trouve ses sources d'inspirations principalement dans la musique de Lester Young. La musique de Lester Young est toujours présente dans les pensées de Dexter Gordon, comme il le proclame souvent.
La sonorité du jeu de saxophone de Dexter Gordon est intense et puissante. Ses improvisations impressionnent, tant les musiciens que le nombreux public présent lors de ses prestations. Sa présence charismatique sur scène, et le jeu qu'il propose, sont littéralement hypnotiques. Les sonorités développées par le maestro du saxophone alto sont nouvelles et déroutantes.
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Dexter Gordon va vivre en Europe jusqu'en 1976. Tout en venant régulièrement à Paris, c'est à Copenhague qu'il va réellement s'installer dans un appartement. La ville de Copenhague va d'ailleurs largement et officiellement remercier Dexter Gordon en créant une rue de la ville portant le nom Dexter Gordon. Consécration ultime pour cet artiste d'origine Afro-Américaine.
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Pour la petite histoire, cette rue Dexter Gordon croise la rue Ben Webster (1909-1973), un autre géant de la musique Jazz qui c'est aussi installé (et enterré) à Copenhague. Cette capitale du nord de l'Europe est profondément attachée à la musique Jazz. Le club "Montmartre Jazzhus", qui a accueilli les nombreux concerts de Dexter Gordon, est d'ailleurs toujours en activité en 2024.
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Juste après son long séjour en Europe, Dexter Gordon retrouve avec ferveur en 1976 sa ville de New York City. Dexter Gordon retrouve les scènes et le public new-yorkais avec un grand succès, son pays d'origine l'accueille effectivement à bras ouvert. Son long séjour en Europe à apporté une nouvelle stature internationale aux yeux du public aux Etats-Unis.
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Profitant de cette nouvelle notoriété, Dexter Gordon reprend également les chemins des studios d'enregistrements. Il signe un intéressant et lucratif contrat pour la grande et riche compagnie de disques Columbia Records. Durant cette période, Dexter Gordon revit littéralement. Infatigable, Dexter met de nouveau sur pieds une formation de haute volée composée de talentueux musiciens.
- Référence musicale 10 (en bas d'article) -
- Dexter Gordon à Paris en 1964 (Source : JM) -
Cette toute nouvelle formation mise sur pieds par Dexter Gordon à la fin des années 1979 lors de son retour à New York est composée de Rufus Reid (née en 1944 et aujourd'hui âgé de 80 ans) à la basse, George Cables (né en 1944 et aujourd'hui âgé de 80 ans) au piano, et enfin Eddie Gladden (1937-2003) à la batterie.
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La formation de Dexter Gordon rencontre immédiatement un franc succès, comme lors de la tournée triomphale intitulée "Manhattan Symphony". Dexter Gordon est désormais une vedette internationale reconnue comme un véritable maître de la musique Jazz. Le maestro est largement salué par le public et la presse spécialisée, tout comme la presse grand public, lui consacrent de nombreux articles élogieux.
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Dexter Gordon dépasse le champ musical, il est reconnu comme un artiste à part entière. Cette renommée va l'amener à collaborer et participer à d'autres activités culturelles, comme dans le 7ème Art. Dexter Gordon va effectivement tenir le rôle principal du film "Autour de Minuit", réalisé par Bertrand Tavernier en 1986, avec comme principaux interprètes François Cluzet, Christine Pascal et l'immense pianiste claviériste Herbie Hancock (né en 1944 et aujourd'hui âgé de 84 ans).
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Le réalisateur Bertrand Tavernier va faire le choix singulier et audacieux de confier le principal rôle de son film à Dexter Gordon, quasiment présent dans tous les plans du film, alors qu'il est totalement inexpérimenté comme acteur de cinéma. En fait, Bertrand Tavernier le choisit car le saxophoniste Dexter Gordon a joué avec Bud Powell (1924-1966) dans les années 50.
Dexter Gordon va brillamment interpréter le personnage de Dale Turner justement totalement et librement inspiré des vies de Bud Powell et Lester Young. Le film "Autour de Minuit" est en effet écrit à partir de la biographie de Bud Powell, Francis Paulas (1924-1966) qui est interprété par François Cluzet.
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Francis Paulas est plus exactement un jeune dessinateur passionné de Jazz qui va accompagner et réconforter Bud Powell lors de son séjour prolongé à Paris dans les années 50. De nombreux autres musiciens de Jazz font partie de la distribution comme Herbie Hancock, qui signe la musique du film. La liste complète est impressionnante : Freddie Hubbard, Bobby Hutcherson, John McLaughlin, Wayne Shorter, Bobby Mc Ferrin, Chet Baker, Pierre Michelot et Eric Le Lann.
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Le film va avoir dix semaines de tournage à Epinay dans les décors fabriqués par Alexandre Trauner. Autour de minuit est un témoignage de la grande passion de Tavernier pour la musique Jazz. Lors d'un entretien donné à l'excellente revue spécialisée "Les Cahiers du Cinéma" le réalisateur explique le rôle et la place prise par Dexter Gordon dans son film "Autour de Minuit".
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Bertrand Tavernier : "Si le mélange Bud Powell-Lester Young m’a beaucoup servi dans l’écriture initiale pour donner une forme au personnage, Dexter l’a progressivement envahie et transformée de l’intérieur, introduisant des éléments de sa propre vie, modifiant les phrases de dialogue, imposant sa façon de parler, son vocabulaire, son rythme, le ton de sa voix, sa gestuelle".
- Référence musicale 11 (en bas d'article) -
- Dexter Gordon à Copenhagen en 1969 (Source : JP&CDJ) -
Bertrand Tavernier poursuit "Tout ça a contribué de façon décisive à la forme finale qu’a prise le film, les remarques de Dexter allant même jusqu’à faire évoluer à plusieurs reprises non seulement le déroulement d’une séquence mais l’articulation des scènes entre elles".
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De plus, le réalisateur rappelle que le script de "Round Midnight" va déconcerter les grandes compagnies américaines comme la Warner. Ces financeurs sont effectivement sceptiques car ils pensent que le milieu du Jazz et la passion amicale entre un vieux musicien noir et un jeune Français n'intéresseront par le grand public.
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A contrario des allégations des financeurs, le film va rencontrer un franc succès auprès du public. L'Oscar de la meilleure musique en 1987, décerné à Herbie Hancock, illustre parfaitement ce triomphe. Surtout, le film "Round Midnight" va sortir la musique Jazz du simple cercle restreint des connaisseurs et permettre à un public plus large de mieux comprendre l'environnement et les spécificités du Jazz.
Pour sa part, Dexter Gordon va également être récompensé pour sa brillantissime interprétation par le pays de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Dexter est effectivement nommé, lors d'une cérémonie officielle, membre et officier de l’Ordre des arts et des Lettres par le ministère de la Culture de la République Française.
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A la fin de sa carrière, Dexter Gordon est enfin reconnu et honoré comme le maître du saxophone alto sur les deux continents. A contrario de nombreux autres artistes ou musiciens Afro-Américains de Jazz, Dexter Gordon va avoir le privilège d'être reconnu a sa juste valeur avant sa disparition.
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Malgré une santé de plus en plus défaillante, Dexter Gordon participe au début de l'année 1999 à son tout dernier concert en jouant avec le prestigieux orchestre philarmonique de la ville New York (New York Philharmonic. Malheureusement, après une douloureuse et courageuse lutte contre un cancer du larynx, le maestro meurt le 25 avril 1990 à Philadelphie dans l'État de Pennsylvanie.
- Référence musicale 12 (en bas d'article) -
- Dexter Gordon et François Cluzet dans le film "Autour de Minuit" en 1986 (Source : BNF) -
Dexter Gordon nous lègue incontestablement un immense héritage à travers ses fabuleux enregistrements. Avec son incomparable génie musical, et son irrésistible charisme naturel, Dex va profondément marquer l'histoire du Jazz.
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En participant plus particulièrement à la genèse et à l'épanouissement du style Hard'Bop Jazz, le "Géant Sophistiqué" va devenir une véritable icone pour les Mods. Ses fabuleux enregistrements, tout comme ses magnifiques pochettes pour Blue Note Records restent inscrits à jamais dans le Panthéon musical des Mods.
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La musique de Dexter Gordon est inscrite dans la grande histoire du Jazz Afro-Américain. Finalement, lorsque l'on demandait à Dexter si il avait eu des regrets durant sa longue et prolifique carrière, il répondait : «Un seul regret. Je n’ai jamais pu jouer dans l'inoubliable orchestre de Count Basie, au pupitre de Lester Young".
Alexandre Saillide-Ulysse
75 M.N.S®
Sources :
- Franck Médioni "Une Histoire du Be Bop"
Éditions du Layeur, Paris, 2020
- Maxine Gordon "Sophisticated Giant : The Life and the Legacy of Dexter Gordon", Éditions California University Press, 2018
- Jérémie Kroubo Dagnini (dir.) "Musiques noires. L'Histoire d'une résistance sonore", Éditions Camion blanc, 2016
- Philippe Carles "Le Nouveau Dictionnaire du Jazz"
Éditions Robert Laffont, Paris, 2011
- Yannick Séité "Le Jazz, à la lettre"
Éditions Presses Universitaires de France, Paris, 2010
- Laurent Cugny "Analyser le Jazz"
Éditions Outre-Mesure, Paris, 2009
- Noël Balen "L'odyssée du Jazz"
Éditions Liana Levi, Paris, 2003
- Lucien Maison "Histoire du Jazz"
Éditions Seuil/Solfèges, Paris, 1976 (mise à jour en 1994)
- Hugues Panassié "La bataille du Jazz"
Éditions Albin Michel, Paris, 1965
- Divers Revues spécialisés (Jazz Mag, Hot Club de France, Soul Bag, Jazz World).
Références musicales :
- Sélection 1 : Lionel Hampton And His Orchestra "Flying Home"
Decca Records (9-23837) - 1950 (enregistrement original 78Tours Decca Records (18394) 1942)
- Sélection 2 : Dexter Gordon "Setting The Pace Part 1"
Savoy Records (XP 8022) - 1952
- Sélection 3 : Dexter Gordon "Citizen Bop"
Swing Time Records (Face B / 323) - 1953
- Sélection 4 : Dexter Gordon Quartet "My Kinda Of Love"
Swing Time Records (Face A / 323) - 1953
- Sélection 5 : Dexter Gordon "Silver Plated"
Dootone Records (207) - 1955
- Sélection 6 : Dexter Gordon "Scrapple From The Apple"
Blue Note Records (BLP 4146) - 1963
- Sélection 7 : Dexter Gordon "Ernie's Tune"
Blue Note Records (45-1829) - 1962
- Sélection 8 : Dexter Gordon "Cheese Cake"
Blue Note Records (BLP 84112) - 1962
- Sélection 9 : Dexter Gordon "Soul Sisters Part 1"
Blue Note Records (45-1828) - 1962
- Sélection 10 : Dexter Gordon "Broadway"
Blue Note Records (BST 84146) - 1973
- Sélection 11: Dexter Gordon "The Jumpin' Blues"
Prestige Records (PR 1020) - 1970
- Sélection 12: Dexter Gordon "Round Midnight"
Blue Note Records (85135) - 1986
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